«On ne devrait jamais quitter Montauban», fait dire Michel Audiard à Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs, film culte de Georges Lautner. Ce matin-là, en tirant les rideaux du Best Western Le Relais Kennedy, boulevard Edgar-Quinet, à Clermont-Ferrand (80 euros, une chambre double, petit déjeuner compris), Lys secoua son épaisse chevelure blonde so british, si swinging London, et me lâcha du bout de son adorable accent anglais so birkinien: «On est bien à Clermont-Ferrand.» C’est vrai que nous étions bien à Clermont-Ferrand. Il faisait gris et froid. Mais on est toujours bien en France. Nous venions de traverser l’une des régions les plus françaises de France, le Massif central, avec ses plateaux enneigés. En conduisant calmement ma Peugeot 206, 5CV (215000 kilomètres) au côté de ma petite Anglaise, je pensais, pêle-mêle, à Antoine Blondin, à Limoges, à Aurillac (où j’avais séjourné avec Féline, mon ex-femme), à mon copain Denis Tillinac, à Jean-Louis Murat, à Vialatte et à Gingouin, haut résistant communiste, brisé par l’apparatchik stalinien non résistant au cœur des fifties. En fait, je pense toujours beaucoup quand je conduis. Souvent à ce qui n’est plus; c’est agréable. Nous foncions vers la Méditerranée. Estagel, d’abord, si espagnole, devant les Pyrénées. Cali est, dit-on, en train d’y faire construire une maison. J’eusse voulu visiter le camp des réfugiés espagnols de Rivesaltes. Pas le temps. Il nous fallait partir vers Cap d’Adge, parcourir les falaises sublimes et si douces, l’hiver, douces comme les fesses d’une blonde. Nous évitâmes Toulon que je n’aime guère, puis arrivâmes au paradis sur terre: Menton en hiver. On était si bien à Menton, eussé-je pu dire, sans faire injure à Clermont-Ferrand et à Lys.Cette douceur exquise; la lenteur élégante des gens. Menton, l’hiver est une sorte de Trieste pleine d’agrumes. Les mouettes parlent; elles ont un accent. L’été, on dit qu’elles bronzent comme ces vieilles allemandes délicatement décorées de lourds bijoux à gigolos. La lumière hiémale de Menton n’est rien d’autre qu’un délice. Une douceur fraîche. Avons aussi visité le musée Cocteau. Aujourd’hui Cocteau eût presque pu demander Marais en mariage. Si la fièvre typhoïde n’avait pas existé, ils eussent pu adopter Radiguet. L’important, dans la vie, n’est-il pas d’avoir constamment le diable au corps?
Dimanche 10 février 2013.