Etang et tanche

         Les rentrées ne sont jamais très amusantes. J’avance place Gambetta, à Amiens, ma grosse tête de Ternois protégée par un parapluie. Il pleut. Ciel de jais. Je marche d’un pas résigné vers mon destin. Je pense à mes problèmes de pognon. Les gens qui ont des problèmes de pognon sont de plus en plus nombreux. On se demande bien ce que fabrique la sociale-démocratie-libérale et ses alliés, le capitalisme de brutes qui rend les riches de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, qui broie les beaux outils étatiques et fraternels construits par de Gaulle et les communistes au sortir de la guerre, sans oublier cette espèce d’Europe des marchés aussi navrante et allemande qu’une surprise-partie en Prusse orientale. Voilà, lectrice. Tu sais tout : ma rentrée est celle d’un gagnant, d’un winner qui veut en découdre dans cette belle compétition où le meilleur gagne (parfois) et où le beau, le ric

Une grosse brune, belle comme une mama italienne.

Une grosse brune, belle comme une mama italienne.

he, le fort gagnent (toujours). Trêve de plaisanterie. Soudain, mon morale remonte d’un cran : je me mets à penser aux parties de pêche que je faisais, quelques jours plus tôt, après m’être fait mordre la main à sang (infection, antibiotique ; j’ai échappé de peu au billard !) par mon chat Wi-Fi qui, effrayé par l’énorme chien du voisin, se trouvait en panique, la queue énorme (à rendre jaloux Rocco Siffredi), bavant, crachant, jurant. Je me suis dit : il va se jeter sur le cabot (très gentil, il faut le reconnaître mais impressionnant car de la taille d’un poney) et lui crever les yeux. Je commets alors une erreur : je tente de l’attraper au lieu de le menacer avec un bâton ou lui balancer un seau d’eau afin qu’il recouvre ses esprits. Résultat : il m’a mordu avec une puissante de tigre. Voilà : où en suis-je, lectrice, ma fée sensuelle ? Oui, mes parties de pêche à l’étang du comité d’entreprise du Courrier picard, à Argoeuvres. J’ai adoré. Par une belle fin d’après-midi, j’ai capturé un brochet alors que je remontais ma ligne lestée d’un vif (un petit gardon). Par une soirée pluvieuse, j’ai chopé une énorme tanche qui dépassait le kilogramme. Avant cela, j’avais cassé une première fois ma ligne (montée trop finement avec un hameçon de 18), puis une deuxième fois (avec une ligne plus forte équipée d’un hameçon de 12), broyé net, avec au bout d’une manière de monstre puissant comme Mike Tyson. La troisième fois fut la bonne. Après un dur combat, je remontais la jolie brune, une mémère rondouillarde, sapée comme une princesse avec sa robe couleur de tabac brun. Je m’empressais d’envoyer une photographie de ma prise, via mon portable, à mon copain écrivain Franck Maubert, pêcheur devant l’Eternel. Il me répondit ces jolis mots : « Magnifique dans sa belle livrée d’un tailleur anglais. Quelle élégance! » Je repensais alors aux écrivains-pêcheurs : Hardellet, Hemingway, René Fallet. C’est tout de même plus poétique que de penser au pognon.

Dimanche 6 septembre 2015