Etait-ce toi, Clara, au Zup Bar, à Saint-Quentin, en mai 1972?

Philippe Seydoux, écrivain. Décembre 2012.

J’aime l’automne et l’hiver, leurs couleurs, leur mélancolie; elles me le rendent mal. Je sors d’une crève carabinée. L’âge certainement. (Oui, lectrice, je vais sur 87 ans, et je travaille toujours pour payer mes dettes contractées lors de ma vie de jeune homme: entretien de poulettes, danseuses, demi-mondaines, cantatrices, etc.) Moi qui, il y a peu, craignais aussi peu le froid que Bukowski la Budweiser, me baignais dans l’océan breton à 13 degrés (c’est vrai qu’une peine de cœur, le Prozac et le Tranxène m’avaient échauffé le sang et les sens), me voici, les frimas revenus, à tousser comme un phtisique et cacochyme écrivain. Léautaud, aigri, entouré de ses chats, Céline, mauvais comme une teigne au retour de Norvège, Cendrars, au coin du poêle à bois à Aix-en-Provence, n’eussent pas fait mieux. Mais un soubresaut de vie m’a repris. Et sur mon destrier blanc, je me suis rendu au salon du livre à l’hôtel de ville de Saint-Quentin. Après avoir salué la délicieuse Cécile, de la librairie Cognet, et Xavier Bertrand, j’ai sympathisé avec mon voisin de table, l’écrivain Philippe Seydoux qui vient se sortir Gentilhommières des pays de l’Aisne, Laonnois, Vermandois, Thiérache, un ouvrage magnifique. Ce livre me fait rêver. En tant que marquis des Dessous chics, rien de plus normal, pourrais-tu penser, lectrice blasée. Bien sûr, mais pas seulement. Quel bonheur de découvrir l’histoire du château de Rouez, près de Viry-Noureuil, où mes grands-parents travaillèrent, et où vécurent ma mère, puis mon père et où j’ai bien failli naître. Mon père me racontait qu’il allait se baigner dans l’étang et qu’il remontait, poissé de vase. Quel bonheur également d’en savoir un peu plus sur l’abbaye de Villequier-Aumont où, adolescent, je me rendais en compagnie de mon beau-frère pour pêcher dans l’étang et remonter de grosses tanches. Tout n’est que subjectivité et c’est bien ainsi. Autre rencontre: celle de l’ami Michel Krauze, rocker dans l’âme, qui me confia qu’il croyait avoir croisé, en mai1972, Clara, l’un des personnages de mon dernier roman Des rires qui s’éteignent. C’était au Zup Bar, à Saint-Quentin. Elle était au volant d’une magnifique voiture «empruntée» à son père, homme fortuné. Ils avaient fait la tournée des bars. Il se souvient d’une fille superbe, manière de Janis Joplin, allumée et gentille. Était-ce bien elle? Je ne le saurais jamais. Clara n’est plus de ce monde pour témoigner.

Dimanche 13 décembre 2012.