Si littéraire, Vincent Delerm…

Son dernier album, « Les amants parallèles », s’écoute comme les chapitres d’un roman caressé par le vent d’automne. Entre Corbière, Modiano et Delerm père.

Vincent Delerm, chanteur. mars 2012.

Comme le cinéma, la chanson française se porte bien. Trois de ses hérauts actuels, hérauts singuliers, viennent d’univers bien différents pour, au final, se rejoindre. Ils chantent l’amour; l’amour à leur manière. Ce sont des subjectifs, des rêveurs, des buveurs de bruine. Alex Beaupain vient de - l’excellente - variété française. Albin de la Simone vient du jazz, un jazz d’antan et doux comme les eaux de L’Hallue, au printemps. Du jazz que lui faisait entendre son père. Un jazz égaré dans les brumes de l’enfance. Vincent Delerm, lui, vient de la littérature. Son dernier album, Les amants parallèles s’écoute comme un livre. Les douze chansons qui le composent s’écoutent ou se lisent comme les chapitres d’un roman. «L’avion s’était finalement posé dans la neige. Il avait tourné dix-huit minutes dans le brouillard et s’était posé dans la neige. Ils se connaissaient à peine. Il s’était promis de ne plus penser à elle une fois au sol. Tout resterait dans l’air», chante-t-il dans «L’Avion», la première chanson de l’album. Tout resterait dans l’air. C’est beau comme du Tristan Corbière. Ou comme du Patrick Modiano. Ou comme du Philippe Delerm; comme on voudra. Les trois écrivains-poètes cités à l’instant ont assez de talent pour comprendre que Vincent Delerm ne pense qu’à une chose: à la littérature, bien sûr. Cet album est beau car il est littéraire. Tristan Corbière, Modiano… Vincent Delerm pose des mélodies douces, acidulées, discrètement pianotées, douces, douces, pour ne pas effrayer les mots qui pourraient s’envoler comme les feuilles à l’automne. La voix de Vincent, si moquée, si injustement moquée, possède un grain à la fois douloureux, modeste, sensuel qui donne à l’ensemble un charme fou. Elle est exquise quand elle s’abandonne au talk-over. Cette façon de parler sur les mélodies du piano; une manière lascive de s’allonger sur les draps déjà froissés du temps qui passe. Du temps qui fuit. Parlons-en du temps qui fuit.Comme chez Modiano, comme chez Corbière, comme chez Hardellet, comme chez Bove, comme chez Verlaine, le temps qui fiche le camp est la grande histoire de Vincent Delerm. Sa chanson, «Hacienda», superbe, ne dit rien d’autre. Était-ce lui, le garçon collé par terre, le garçon à Manchester? Est-ce lui, près de l’enfant, ce garçon en t-shirt Johnny Marr? Ce disque est aussi poignant que Villa Triste, de… de qui déjà?

PHILIPPE LACOCHE

« Les amants parallèles », Vincent Delerm. Tôt ou Tard.

Benoît Duteurtre par delà le bien et le mal

 

Benoît Duteurtre, écrivain, journaliste. 2009.

L’excellent romancier se fait essayiste avec un recueil de sulfureuses chroniques dans lesquelles il brocarde la pensée unique et la modernité des benêts.

A l’époque actuelle, il ne sera pas de bon ton de dire du bien de ce livre. Soyons donc de mauvais ton et disons du bien, beaucoup de bien, de ce Polémiques, de l’excellent Benoît Duteurtre. Ce dernier ne mâche pas ses mots. Il ne va pas dans le sens du vent. Ces chroniques (dont certaines ont été publiées dans Le Figaro, Marianne et Libération) le prouvent. Néo-réac? C’est indéniable et, disons-le tout de go, ça fait un bien fou tant la pensée unique, la bien pensance béate, l’hystéro-européanisme, la maniaquerie de la modernité à tout prix sont idiots, benêts, sournoisement insidieux, et, au final, sous des grands discours de pseudo-gauche libertaire, non seulement fait le lit de l’ultralibéralisme, mais finit par carrément coucher avec lui. On est dans de beaux draps! Duteurtre n’est pas dupe. Même quand il défend de Gaulle ou la France d’avant, même quand il s’en prend à l’Europe des marchés, même quand il ose s’attaquer aux nouveaux cyclistes à catogan et à développement durable, même quand il brocarde - le fait-il, au fait? oui, il doit le faire - les trottinettistes, vieux gamins de l’ère nouvelle.

Nouveau réactionnaire

Nouveau-réac? Son éditeur ne s’en cache pas quand, en quatrième de couverture, il prévient: «Partant d’humeurs, d’expériences, d’observations personnelles, chacun de ces textes gomme les frontières trop simples entre le bien et le mal, le progrès et le conservatisme. On aura du mal à faire entrer dans une case Benoît Duteurtre, ce « nouveau réactionnaire » opposé à l’emprise des religions, cet anarchiste favorable au rôle de l’État et des services publics… en tout cas ce romancier passionné par son époque, au point de se transformer provisoirement en essayiste.»

Et ce rôle d’essayiste lui va à merveille à Benoît. Incisif, jamais haineux, amusé, jamais méprisant, critique, jamais donneur de leçons, il déploie un ton qui fait mouche car toujours empreint d’un humour délicat. Lucide. Tout est juste et bien vu. Notamment lorsqu’il démonte Christine Angot qui, selon lui, illustre le dogme du «bon moderne».Celui-ci ordonne que la littérature authentique «vaut d’abord par l’invention d’une écriture. Peu importe qu’un écrivain nous raconte des histoires, qu’il ait de l’esprit et du style. Il est d’abord fabricant de texte et suit obsessionnellement ce but qui se caractérise, dès les premières lignes, par des constructions personnelles et sophistiquées.»

Mais ce délicieux livre de chronique du Duteurtre essayiste, ne doit pas faire oublier le très pertinent Benoît romancier. Pour ce faire, il faut se replonger dans L’été 76, paru en 2011 et qui paraît en Folio. Dans la touffeur de1976, un adolescent provincial, gaucho à longue crinière, découvre le rock et l’amour. C’est à la fois doux, mélancolique, amusant et frais. Le Duteurtre qu’on aime.

PHILIPPE LACOCHE

Polémiques, Benoît Duteurtre, Fayard, 224 p.; 17 euros.

L’été 76, Benoît Duteurtre. Folio, 206 p.; 6,50 euros.

Les goûts sûrs d’Eric Neuhoff

 

Eric Neuhoff, écrivain. mars 2012.

L’écrivain, critique cinématographique au « Masque et la Plume », dresse un succulent panorama de ses admirations et de ses détestations. Très réussi.

Comment ne pas aimer un livre qui commence ainsi: «Que les choses soient claires: Rivette m’emmerde, Tati ne m’a jamais fait rire et Resnais a le don de m’assommer. Lecteur des Inrockuptibles et de Libération, passe ton chemin. Je te laisse à tes rétrospectives Almodovar, tes inédits de Jacques Doillon. Soyons honnête.Cela ne m’empêche pas d’aimer Antonioni, La maman et la Putain et les premiers Garrel.»

Et de poursuivre en reconnaissant que les goûts sont une affaire compliquée. Surtout en matière de cinéma, ce cousin de la littérature. Du goût, Éric Neuhoff n’en manque pas. Le romancier qu’il est nous l’a prouvé à maintes reprises avec des romans savoureux (Les Hanches de Laetitia, Albin Michel, 1989; La petite Française, Albin Michel 1997; Un bien fou, Albin Michel 2001; Mufle, Albin Michel 2012), et des essais pétillants comme un Drappier (Les Insoumis, Fayard, 2009; Champagne!, Albin Michel 1998).Le critique cinématographique qu’il est également («Le Masque et la Plume», sur France Inter) le confirme. Du goût.Et un sens inné du non-panurgisme et de l’impertinence. Son Dictionnaire chic du cinéma en est la preuve éclatante. Il s’adonne ici à un bel exercice de subjectivité comme Kléber Haedens l’avait fait au siècle dernier avec Une Histoire de la littérature française. Neuhoff est un fou de cinéma. Il aime autant qu’il déteste; il n’écoute que ses émotions, ses fous rires. Il se fiche des écoles, des modes, des vagues, des prétendues modernités. Il parle bien des actrices (délicieux profil de Charlotte Rampling; croquis d’une grande justesse de Romy Schneider: «Des comme elle, ça n’existe plus.»).Il est parfois là où on ne l’attend pas: tendre avec Anne Wiazemsky. Et il est bien là où on l’attend: dans le portrait bref et impeccable qu’il dresse de Jean-Pierre Rassam, ou dans son attendrissante notice consacrée à Pascal Jardin. «Longtemps, le cinéma a été une manière de ne pas vieillir. Je me demande si ça n’est pas aujourd’hui l’unique moyen de ne pas mourir», écrit-il à la fin de l’avant-propos de son dictionnaire. On est en droit de ne pas lui donner tort.

PHILIPPE LACOCHE

Dictionnaire chic du cinéma, Éric Neuhoff, Écriture. 383 p.; 24,85 euros.

Le désir d’être Viviant

« Une mise à nu littéraire et politique, où tout conflue vers le désir d’être vivant », est-il écrit en quatrième de couverture du roman d’Arnaud Viviant.

Arnaud Viviant, journaliste, écrivain. 2013.

C’est un livre souvent drôle, parfois noir, même très noir. À l’image de la vie. C’est un vrai roman et c’est bien. Même si l’on sent, au fil des pages, qu’Arnaud Viviant y a mis beaucoup de lui. Beaucoup. Un récit? Non. Belfond, son éditeur, a écrit Roman sur le livre. C’est qu’il devait être d’accord avec ça, Arnaud Viviant. Et, si c’est le cas, il a eu raison. Car grâce à sa construction, son ton, son rythme, ce texte est un vrai roman. Après tout, quand Céline écrit Voyage au bout de la nuit, c’est sa vie qu’il triture, qu’il malaxe, qu’il reconstruit parfois, souvent. On s’en fiche, au fond. La vie de Viviant? L’intérêt c’est que l’Arnaud soit parvenu à faire un beau petit objet littéraire, vif comme un lapin à l’ouverture de la chasse, nerveux. Assez cinglé. Que nous conte-t-il? La vie d’un drôle de zigue, d’abord passionné de rock (il le fut Arnaud Viviant, ancien critique à Best, à Libération, aux Inrockuptibles, etc.), puis de littérature. Le narrateur devient critique littéraire au fil des rencontres. Au Masque et la Plume, notamment. (Comme l’est l’auteur.) Il se promène dans Paris à scooter, file, rapide, boit sec. Et lit. Énormément. Et c’est bien là le mérite de ce roman: c’est un hymne, mine de rien, à la littérature. On y apprend que François Bon s’était acheté sa machine à écrire un samedi après-midi de novembre1977, une machine Olympia rouge vif pour 340francs, «geste par lequel l’ingénieur qu’il était encore passait la main à l’écrivain».On y croise Sébastien Lapaque, «bon catholique, bon, critique, œnologue, père de six enfants, élevé chez les curés»; un Sébastien Lapaque que le narrateur admire. On y croise aussi Sartre («à l’ombre duquel vous pouviez timidement vous inventer une vie», Debord, Bayon qui «écrivait de magnifiques articles-fleuves sur le rock qu’il peaufinait des jours durant avant de les envoyer au desk d’un geste rageur et dépité». Et quelques autres. Il se souvient même que le 9avril1978, à Tours, le pont Wilson, «que tous les Tourangeaux appelaient avec révérence le Pont de pierre», s’écroulait. Viviant devait être dans cette ville à ce moment-là. Il devait écouter les punks. Et déjà lire comme un fou. Ce livre, oui, est un bel hymne à la littérature; il est servi par un rythme rock’n’roll. C’est très agréable.

PHILIPPE LACOCHE

«La vie critique», Belfond, 188 p.; 17,50 euros.

Comme un lièvre, Jacques Darras regarde la Picardie

 

Le poète et écrivain picard sort un livre, « Voyage dans la couleur verte, Un parcours en Picardie », en compagnie de la photographe Chantal Delacroix.

Pouvez-vous nous présenter ce livre ?

Jacques Darras : C’est un livre de deux cents pages environ qui est le fruit d’un travail d’équipe : la photographe Chantal Delacroix, une Amiénoise pure sucre, a travaillé à partir de textes qui étaient dans mes tiroirs, qui ont mûri très longtemps, qui étaient dans le secret. Elle les a lus; elle les a compris, décryptés; avec son compagnon, Jean, elle est partie sur les routes de la Picardie; ils ont fait un travail de photographe extraordinaire; il y a une complicité, une complémentarité, entre les textes et les photos. Mon écriture est un peu chantournée; c’est une écriture d’il y a quelques années. Ses photos sont très simples, très directes, très claires; ça produit un travail qui fonctionne bien. Elle éclaire par ses photos ce qui, dans ma phrase, peut donner l’impression d’aller dans les coins, de tourner. J’ai une vision de la Picardie qui est une vision de lièvre. Un lièvre, ça court à l’oblique; ça zigzague, ça revient, ça dresse les oreilles. Je suis dans un vision animale de la plaine. Il est surtout question de la plaine dans ce livre. La Picardie, c’est pour moi la plaine plus que les vallées, moi qui suis pourtant l’homme des fleuves et des rivières, pour un coup, c’est essentiellement la plaine. J’adore les nuances de la plaine au printemps et à l’été. C’est une lecture de la Picardie par la couleur.

Est-ce que les textes ont été directement influencés par les photos ou sont-ce les photos qui ont été influencées par les textes?

C’est le travail photographique qui a été réalisé d’après les textes. J’ai un oeil photographique moi-même; j’ai un oeil de peintre (c’est un bien grand mot!). J’aime la couleur; dans une autre vie, j’aurais été un peintre. Si une autre vie m’est accordée, je me réincarnerai en peintre parce que je trouve que la Picardie, c’est la lumière, comme le disait Manessier à propos de la baie de Somme; c’est la couleur et la nuance. La Picardie est un nuancier absolument fabuleux. Les plantes donnent au ciel une réciprocité qui, je trouve, est unique en France; la Picardie ressemble un peu aux polders de la Flandre et des Pays-Bas. Nous sommes une annexe des Pays-Bas et de la Flandre pour la couleur. Il y a eu un grand peintre, Manessier. On peut imaginer qu’il y en ait d’autres. Moi, je suis peintre avec les mots.

Ce livre est destiné à qui ?

La librairie ne désemplit pas depuis quatre heures. Je le destine à tous les gens qui sont dans cette librairie. C’est un livre grand public, un cadeau de Noël. A la fin du livre, il y a un cd avec mes lectures. J’ai lu des extraits. J’explique, je commente; c’est un parcours multiple. Il y a des photos, les paysages, mes textes et la voix. C’est un livre stéréoscopique.

Votre travail photographique a consisté en quoi?

Chantal Delacroix : Tout a commencé lorsque j’ai découvert ces textes. C’est Jacques qui, un jour, m’en a parlé. Je lui ai dit que j’étais intéressé pour travailler à partir d’eux, de faire un itinéraire photographique. J’ai commencé par les lire attentivement. Ensuite, j’ai fait de petites fiches, les lieux, les noms des personnages; je ne savais pas ce que j’allais faire. Comme j’ai la chance d’être mariée avec un homme très curieux, je lui ai proposé de m’accompagner au cours de mes voyages; nous sommes partis comme ça. Lui est du Sud-Ouest, mais c’est l’homme du Sud-Ouest qui connaît le mieux la Picardie parce que nous l’avons sillonnée de long en large. Les trois départements. Et des lieux autres.

J.D. : Elle a photographié la plaine avec toute ses douceurs. Les seigles qui prennent des couleur argentées. C’est de la danse; elle a photographié en dansant.

C.D. : Je suis née à Domart-sur-La Luce. J’ai une longue carrière dans l’informatique derrière moi. Au moment de l’arrêter, j’ai suivi une formation en photo; j’ai passé le diplôme. J ‘ai fait un premier livre avec mon mari , Entre ciel et terre, la baie de Somme, grâce aux poèmes de Jacques Darras et d’Yvon Le Men; c’est comme ça que ça a démarré. A partir de là, l’aventure a commencé; j’ai fait une exposition. L’aventure ne s’est plus arrêtée. J’ai fait quelques autres expositions, notamment à Chantilly, et à Achères, dans les Yvelines. J’ai également réalisé des photos lors de très longs voyages. Nous avons voyagé en Mauritanie avec Jean, mon mari. J’ai fait beaucoup de photos. On est toujours un peu à travers le monde.

Propos recueillis par

Jacques Darras, poète et écrivain. Amiens. Décembre 2013.

Philippe LACOCHE

« Voyage dans la couleur vertes, Un parcours en Picardie », Jacques Darras et Chantal Delacroix, éditions du Labyrinthe. 214 p.; 25 euros.

Le froid sec de l’hiver de Saint-Quentin en 1971

Jacques Darras, écrivain poète, traducteur, universitaire. Février 2012.

J’aime beaucoup la ville de Saint-Quentin. J’y ai longuement séjourné, puis vécu. Séjourné (le mot est-il bien approprié? Il recèle un côté dilettante qui, comme le gros chat de la maison d’édition du même nom où j’ai édité mes premiers livres, me convient), de1970 à1975, comme élève au lycée Henri-Martin. J’avais refusé d’aller au lycée Gay-Lussac, à Chauny - où mon père et ma sœur aînée avaient été, eux-mêmes, élèves -, pour échapper à l’apprentissage de l’allemand, et me jeter comme un soldat républicain sur un combattant franquiste lors de l’attaque de Teruel, sur l’espagnol. Ah, l’espagnol! Quel bonheur! 1971.C’était l’époque où les musiques brésiliennes, sud américaines et latines caressaient le rock de leurs regards de velours noir. Mlle Vergnioux, notre professeur d’espagnol en seconde, nous avait fait apprendre une chanson de Paco Ibanez, «Como tù». Je me souviens de ce drôle d’hiver. Il faisait froid comme aujourd’hui. Un froid sec, picard, comme seule la rue d’Isle, irradiée par des courants d’air glacials et solaires, sait en produire. Nous la remontions, mon copain Paco, Jean-François Le Guern, que je surnomme Juan dans mon roman La Promesse des Navires (Flammarion, 1998; un fort beau cadeau de Noël lectrice, ma fée fessue consumériste) pour nous rendre au lycée et nous enfermer dans une salle de classe du lycée pour y répéter la chanson «Como tù» que nous devions interpréter en cours d’espagnol à l’occasion des fêtes de fin d’année. Le froid sec de cet hiver 1971-72. Le goût des bières brunes que nous ingurgitions en grand nombre au Café central, dans le haut de la rue Emile-Zola. (Existe-t-il toujours?) Habité.Jeune journaliste à L’Aisne nouvelle (1979-1983), j’habitais rue des Bouloirs avec Féline, mon ex-épouse. C’est dire, lectrice, que j’étais ravi de me rendre au salon du livre de Saint-Quentin, il y a peu. J’avais comme voisine la mignonne et vingtenaire Salomé Berlemont-Gilles, fille d’une conseillère municipale socialiste, qui vient de sortir un adorable petit livre, Argentique, dans la collection Plein feu, de chez Lattès. Nous avons beaucoup parlé. Littérature (des hussards et des autres).Littérature encore, l’autre soir, à la librairie du Labyrinthe où je suis allé interviewer Jacques Darras qui publie un livre sur la Picardie en compagnie de la photographe Chantal Delacroix. Il a dû parler de Saint-Quentin, Jacques, dans son ouvrage. Pas fait attention.

Dimanche 15 décembre 2013

Qui a tué Fabrice du Roscoät?

 

Michel Embareck, écrivain, Mers. Juillet 2012.

C’est la question que se pose Michel Embareck, dans un polar rondement mené, où il sonde les reins d’un empire de la presse régionale agonisant.

Un matin, d’automne à Saproville-sur-Mer, petite ville de province profonde. Le corps de Fabrice Kerbian du Roscoät, héritier d’un empire de la presse régionale au bord du gouffre financier et de la faillite, est retrouvé près d’un jardin public. Il est mort, liquidé «à bout touchant» d’une balle dans le crâne. Qui a plus le tuer? Bambochard invétéré, aurait-il été victime d’un fêtard énervé? Coureur impénitent, un mari jaloux aurait-il été plus expéditif que les autres? Une maîtresse délaissée aurait-elle passé la commande? À moins que le tireur ne fût un fantôme surgit d’un lourd passé familial où les histoires, parfois assez malodorantes, furent fréquentes. Détective privé aux manières peu orthodoxes, ours mal léché, ancien lanceur de couteaux, Victor Boudreaux mène l’enquête parallèlement aux enquêteurs de la Police judiciaire qui œuvre sous la férule d’un procureur aux dents longues.

Voilà résumée, succinctement, l’intrigue de ce polar rondement mené, signé Michel Embareck. L’homme a du savoir faire; il n’en est pas à son coup d’essai. Depuis1984, il a construit une œuvre tissée de quelque vingt romans, souvent policiers, ou relevant de la littérature noire. Il sait mener une intrigue. Il ne s’en prive pas. Mais, sous le genre, on retrouve des questions importantes: quel avenir pour la presse quotidienne régionale? Où les tentatives de modernisation diverses vont-elles mener la presse papier? Se pose aussi la question de l’héritage, de la transmission. Longtemps journaliste dans un grand quotidien régional, Michel Embareck a dû se poser toutes ces questions. Il profite de ce roman de fiction pour faire le point sur l’avenir d’un métier et d’un secteur d’activité en difficulté.

On se régale également du style d’Embareck. Un style imagé où fusent les images directes, étonnantes. Et ce sens aigu du portrait: «Interminable maigrichon un rien hautain, le directeur de la rédaction porte encore sur le crâne quelques stigmates d’une rousseur javellisée par la cinquantaine. Seule la pâleur du visage criblé de gouttes d’ambre trahit la réalité génétique.» On dirait du Blondin.

PHILIPPE LACOCHE

«Avis d’obsèques», Michel Embareck, L’Archipel-Policier. 299 p.; 18,95 euros.

« Je ne suis pas très underground comme garçon »

Voilà ce que révèle l’excellent Alex Beaupain dans l’interview qu’il nous a accordée à Breteuil, dans l’Oise, juste avant son concert dans le cadre du Picardie Mouv’.

Les arrangements de votre dernier album sont très différents de ceux de vos précédents disques. Pourquoi?

Les chansons sont de la même veine. Ce sont des chansons sentimentales ou des chansons d’amour, déclinées sous plusieurs angles. C’est ce que je raconte dans mes albums depuis quatre albums. Simplement, cette fois-ci, j’avais envie de co-réaliser l’album. Je me suis toujours très impliqué dans la réalisation de mes albums. Jusqu’ici, quand je choisissais un réalisateur, je lui laissais le volant en matière d’arrangements. Là, je voulais donc co-réaliser avec un garçon, musicien, qui s’appelle Nicolas Fiszman

Alex Beaupain, auteur-compositeur-interprète, Breteuil, Oise. Novembre 2013.

. J’avais envie que l’album me ressemble tant au niveau des chansons que de la façon dont elles étaient arrangées. Ainsi, il y a sur cet album des choses très variées, plus variées qu’avant, donc plus variété quelque part. Parce que je déplorais toujours dans mes albums précédents que ce soit très joli, très bien fait (j’adore le travail de mes réalisateurs précédents), mais peut être trop élégant et de bon goût. (Dans le sens où, parfois, on s’interdit de faire des choses car on a peur que ça sonne trop années 80. ) J’avais une façon de chanter qui était beaucoup plus maniérée. On faisait beaucoup de prises; la voix était donc très juste, mais je pense qu’on perdait beaucoup en intentions et en émotions sur la voix. Là, je voulais ne rien m’interdire. Il y a des choses très variété, et même un solo de synthé sur un morceau. (Ce qu’on ne fait plus aujourd’hui car on trouve ça terrifiant; moi, j’aime bien; je trouve ça joli.) Il y a même des espèces de pêches de cordes un peu disco sur la chanson « Pacotille ». J’avais aussi envie de me libérer un peu plus vocalement. Et comme je venais d’entreprendre une tournée assez longue, plus longue que les précédentes, ça m’a permis d’accepter qu’on pouvait ne faire qu’une prise voix pour une chanson à partir de l’instant où on estimait que l’émotion était là. Même si techniquement la voix était imparfaite. (Ce qui est souvent le cas chez moi.)

Donc un album plus variété, plus grand public.

Oui, c’est ça. Je le voulais. Les chanteurs que je préfère, ce sont des chanteurs populaires : Alain Souchon, Julien Clerc, Serge Gainsbourg (en a été un même si, chez lui, ça a pris beaucoup de temps), Alain Chamfort, Etienne Daho, etc. Avant, j’avais un côté plus auteur. Cela ne venait pas forcément de mes chansons, mais plus du fait que j’avais beaucoup travaillé pour le cinéma, pour le cinéma d’auteur. En fait, mes chansons sont beaucoup moins intellos qu’il n’y paraît. Elles sont simples; j’essaie de faire en sorte qu’elles soient bien écrites, ça c’est la moindre des choses. Je ne me sens pas très underground comme garçon; je pense même que je le suis pas du tout.

Pas underground, certes; cela n’empêche que vos textes sont particulièrement soignés.

Je crois que c’est la moindre des choses. J’ai mis longtemps à avouer que je voulais faire ce métier. Les chansons que j’écrivais au début, je ne les trouvais pas bonnes. Je les trouvais trop mauvaises pour mériter d’être entendues ou de figurer sur un disque. Ma première inspiration, c’était les chanteurs qu’écoutaient mes parents. Les grands anciens : Trenet, Brel, Barbara, etc. Trénet, c’est le chanteur de mon papa; ce que j’aimais chez lui c’est sa façon très simple de faire sonner le français. Pour moi, Trénet c’est le premier chanteur pop en France. Il a apporté des rythmes d’outre-Atlantique, le swing en l’occurrence; il a fait en sorte que le français puisse marcher dessus. Il a montré que le français pouvait sonner sur des rythmes anglo-saxons. Ensuite, j’ai acheté mes propres disques. Au collège, j’avais deux idoles : Renaud et Etienne Daho; c’est un peu le grand écart. D’un côté, le minet Bc-Bg, très pop, très variété, un peu méprisé avec son côté Top 50; de l’autre, Renaud le titi parisien, un l’héritier de Bruant, Brassens, Hugues Aufray. Bizarrement, chez mes parents, il était plus facile d’écouter Renaud qu’Etienne Daho; pourtant, c’était Renaud le rebelle. J’ai pris des choses chez ces deux artistes : chez Daho, écrire légèrement des choses graves; écrire de vraies chansons de variété. Chez Renaud, c’était le personnage qui m’intéressait; il ne chante pas forcément très bien; ses musiques ne sont pas extraordinaires mais sa personnalité emporte tout. C’est incroyable. En fin de collège, je découvre Serge Gainsbourg, dont j’achète l’intégral en cassettes. C’est un choc. Je me retrouve devant ce qu’on peut considérer comme une oeuvre. Et jusqu’à présent, je n’avais pas l’impression qu’on pouvait faire oeuvre de la chanson. Pourtant, il se défendait de cela en disant que la chanson était un art mineur. S’il a quelqu’un qui a bâti une oeuvre, c’est bien lui. Ce fut un choc pour moi grâce à sa façon d’écrire des textes, sa façon d’appréhender la modernité en musique. Sinon, il y a plein d’autres artistes que j’aime. J’achète dix CD par mois. Beaucoup de choses françaises : Dominique A, Murat, Bashung, Chamfort…

Le collège, c’était à Besançon?

Oui. Je suis venu à Paris après le bac. Je venais d’avoir mon bac; j’avais 17 ans ou 18 ans. Je suis venu à Paris pour faire sciences po. On peut dire que c’est formidable de faire science po, mais moi, les études et l’école m’ont toujours profondément ennuyé. J’avais une amoureuse à l’époque, dont la grande soeur avait fait ça; on avait donc un modèle qu’on pouvait suivre. Et tous les deux, on avait envie d’habiter ensemble. Le meilleur moyen d’habiter ensemble, c’était d’étudier ensemble. A partir du moment où mes parents ont subventionné ces études-là, je me suis senti dans l’obligation d’aller jusqu’au bout. On a donc fait science po, ma fiancée et moi, pour cette raison; pour habiter ensemble. Ensuite, j’ai eu 10 sur 20 tout au long de ma scolarité. J’ai été diplômé. Ma mère avait trois enfants; elle était institutrice. Mon père était cheminot. On était de classe moyenne. Dès que j’ai eu mon diplôme, j’ai avoué à mes parents que je voulais être chanteur. Ils n’ont pas fait de crise, mais ils m’ont dit : « Maintenant, tu t’occupes de toi. » J’ai donc fait des boulots.

Et comment s’est faite la transition vers le métier de chanteur?

J’ai commencé très tard; je n’ai pas eu de groupes au lycée. En revanche, j’ai toujours voulu être chanteur solo. Que ce soit mon projet à moi, avec des musiciens qui vont, qui viennent; mais ils me sont plutôt fidèles car j’aime cette idée de fonder une troupe. Mais j’avais toujours eu l’idée que c’était moi, que c’était mon projet, que c’est moi qui décidais. L’idée du groupe, ça me terrifiait. Je suis très démocrate dans la vie, mais je pense que dans le cadre d’un projet artistique, il faut être autoritaire et dictatorial. Après j’ai commencé à faire des concerts dans des petits endroits; il n’y avait personne, que des amis. A Paris. J’avais la chance, à 17 ans, d’avoir rencontré Christophe Honoré; quand il écoutait mes premières chansons, et je lisais ses premiers scénarios. Ni lui ni moi n’étions quelque chose. Il venait du fin fond de la Bretagne; moi je venais du fin fond du Doubs. On a fait nos premières armes ensemble; il m’a permis de faire la musique de son premier film. Il a quatre ans de plus que moi; il était arrivé à Paris un peu plus tôt. Il m’a beaucoup motivé. Après, j’ai travaillé trois ans sur mon premier album, grâce à des gens qui m’ont fait confiance, qui m’ont produit dans leurs studios. J’ai fini par vendre mon premier album à l’âge de 30 ans à une maison de disque qui était Naïve. Pour le premier album et pour Chansons d’amour, j’ai travaillé avec Frédéric Lo. J’adorais ce qu’il avait fait avec Daniel Darc, l’album Crèvecoeur. J’ai trouvé ça sublime. Quand on a fait Chansons d’amour, il s’est agi d’arranger les chansons. Naturellement, on est allé vers lui. Il a accepté de le faire pour peu d’argent. On a fait le deuxième album.

Vos textes cernent la relation amoureuse; ils sont très stendhaliens.

Ce n’est pas tellement volontaire. Les premières chansons que j’ai faites et que j’ai trouvé intéressantes, étaient des chansons d’amour. Et j’ai essayé d’écrire des chansons engagées.

La chanson « Au départ » est magnifique.

Ce n’est pas une chanson engagée. Ca reste une chanson d’amour.

Il y a quand même quelques petites piques.

Oui, c’est vrai.

Un clin d’oeil à votre grand-père cégétiste?

Sans doute. A mes parents aussi qui ont été des déçus de mai 1981. J’ai essayé de faire des chansons engagées frontalement un peu primaires, ça n’allait pas; ça ne marchait pas. Je me suis donc dit que j’étais un chanteur sentimental. Je me suis dit qu’il fallait que je sois un chanteur qui chante des chansons d’amour et d’autres choses. Il y a donc cette chanson qui parle d’amour et de politique. J’ai essayé d’en écrire des plus sociétales; d’autres parlent d’amour et du temps qui passe. Et que ces chansons d’amour ne soient pas sur le même registre; j’ai essayé d’en écrire des méchantes, des cyniques, des profondément désespérées, des joyeuses. Varier les angles.

La part d’autobiographie est-elle importante dans vos chansons?

Oui, il y a toujours une très large part d’autobiographie. Même les plus tristes; même les plus sexuelles.

Certaines sont vraiment très tristes.

Parfois je me sens très très triste. J’ai écrit sur des deuils aussi. Ce sont des expériences vécues (sinon, ce serait obscène). Mon amoureuse avec qui j’ai fait science po est morte quand j’avais 26 ans; c’est sur ce drame que j’ai écrit les premiers chansons que j’ai trouvé intéressantes. Tout ça est souvent très autobiographie même si ça vie n’est pas aussi palpitante que ce qui est raconté. Dans certaines chansons, j’ai été obligé d’exagérer un peu pour que ça devienne intéressant. Sur mon dernier album, il y a la chanson « Je peux aimer pour deux », une sorte de grande chanson masochiste. Je n’ai jamais vécu ça; peut-être que je le ferai un jour. Il m’est arrivé de ressentir ce sentiment de soumission qu’on peut avoir dans certaines relations. Après j’extrapole pour faire quelque chose d’un peu lyrique. Car la petite chanson anecdotique ne m’intéresse pas. On est obligé de dramatiser. J’ai écrit une chanson qui s’appelle « Je t’ai trompée sur toute la ligne »; je n’ai pas couché avec tous ces gens. Mais ça part tout de même de quelque chose d’un petit vrai. Voilà. En revanche, je veux que ça parte toujours de quelque chose d’autobiographique et de sincère. Sinon, j’ai l’impression de mentir et ça ne m’émeut pas.

Vous aimez la lecture, la littérature. Quels sont vos écrivains préférés?

J’ai d’abord lu Victor Hugo car il est né, comme moi, à Besançon. A 11 ans, j’ai lu Les Misérables. Ca m’avait beaucoup impressionné. J’ai lu beaucoup d’auteurs classiques. J’ai découvert par une ami, John Fante. Ca m’a ouvert des visions extraordinaires. Grâce à lui, j’ai compris qu’on pouvait écrire des choses méchantes, rudes. C’est grâce à lui que quelque fois, je suis méchant dans mes chansons. Il y a une violence et une modernité dans son écriture. Au collège, on lit des choses très lisses, qu’on nous dit de lire. Grâce à John Fante, j’ai lu des choses moins lisses. J’ai lu ensuite Henry Miller, Bukowski. Beaucoup d’Américains. Bratigan. Ces dernières années, à la rentrée littéraire, je me force à lire quelques français. Car je suis le premier à dire : « Il y en a marre de dire qu’en musique, il n’y a de bien que les anglo-saxons, et nous on est des merdes… ». Donc, il faut être cohérent; il fallait que j’applique ce raisonnement à la littérature. J’ai découvert Annie Ernaux, une romancière extraordinaire, très ample; Jean-Paul Dubois; Tristan Garcia…

Quels sont vos projets?

Je continue la tournée, et j’écris beaucoup pour d’autres artistes; ça me repose de moi-même. J’écris les textes et travaille avec des compositeurs; ça m’intéresse. Il y a plein d’auteurs qui écrivent pour les autres comme s’ils écrivaient pour eux. J’essaie de faire du sur-mesure. Je vais me remettre à écrire des chansons pour moi. J’ai des projets… des spectacles complètement zinzins qui ne verront peut-être jamais le jour. J’ai écrit une espèce d’opérette. J’aimerais que mon prochain album sorte à l’automne 2015; il ne faut pas trop traîner…

Propos recueillis par

PHILIPPE LACOCHE

Pierre Lemaitre : pas un Goncourt de circonstance

On eût pu croire qu’il avait écrit son sublime roman pour les commémorations. Non. Il devait le sortir en 2009. Explications avant sa venue ce vendredi matin, au Touquet et à la librairie Martelle, à Amiens, mercredi.

Le Goncourt, ça change quoi dans la vie d’un écrivain comme vous?

Ca change tout! C’est sûrement le seul prix littéraire qui, du jour au lendemain, modifie toute la donne, rebat toutes les cartes : en terme de légitimité, de reconnaissance, d’intérêt pour mon travail; en terme de rythme de vie car, depuis que j’ai obtenu le Goncourt, je n’arrête plus. Ca change vraiment tout. Et, la chose à laquelle je n’ai pas encore goûtée mais que je pressens, c’est la liberté de création que je vais avoir maintenant. Je ne peux pas faire tout et n’importe quoi mais j’ai un peu plus de temps, un peu plus de choix qu’avant et ça, c’est un confort qui vaut de l’or pour un écrivain.

Comment est né ce roman? A-t-il été pensé pour la commémoration du centenaire de la Grande Guerre ou pas du tout?

C’est la question la plus embêtante, la plus embarrassante (mais elle est totalement légitime car mon livre est sorti à la veille de la commémoration). J’ai beau être sincère, il y a parfois des vérités qui ont du mal à trouver leur chemin. Car c’est à la fois vrai et pas vrai. Ce qui est vrai c’est que le livre, je l’ai commencé en 2008 et qu’il aurait dû paraître en 2009. Donc, il était totalement déconnecté de la commémoration. En revanche, quand j’ai eu terminé, en 2011, ma trilogie policière, j’aurais pu dire à ce moment-là : « Je vais faire autre chose; ce livre-là je peux le reculer. » J’ai choisi de le faire là; il y a donc eu, cette fois-ci, quelque chose de volontaire; j’aurais pu choisir le le faire plus tard. Mais initialement, il devait paraître en 2009. Le fait que ce livre-là tombe à la veille de la commémoration, je ne le considère pas du tout comme une erreur ou un mystification; je trouve même bien le fait qu’il tombe au moment de la commémoration et qu’il est politiquement incorrect, ne me semble pas une mauvaise nouvelle.

« L’industrie adore la guerre »

Qu’attendez-vous de cette commémoration? Faut-il évoquer ce qui n’a pas encore été mis en lumière ou peu mis en lumière (gueules cassées, fusillés pour l’exemple, etc.)? Ou faut-il une commémoration plus traditionnelle?

Très franchement, j’ai l’impression que les historiens ont remarquablement travaillé depuis une trentaine d’années. Ils ont fait émergé les questions sur les fusillés, sur les gueules cassées. Il me semble que la guerre de 14 a très bien été documentée depuis trente ans. Contrairement à d’autres, je ne pense que des choses aient été mises sous le boisseau pour des raisons idéologiques; je ne fais pas ce procès à mon pays. En revanche, la commémoration peut-être tendance à être un peu trop dirigées vers les grands universaux : la nation, la paix sociale (qui sont des valeurs importantes) mais peut-être au détriment des destinées individuelles vers lesquelles je me penche. Ce que j’attends de la commémoration, c’est notamment de remettre au premier plan la douleur des hommes à titre individuel, familial, villageois, au niveau des collectivités de l’époque. Et que les discours sur la cohérence nationale ne viennent pas masquer les douleurs individuelles.

C’est ce que vous avez fait dans votre roman.

C’est ce que j’espère avoir fait.

Comment avez-vous travaillé? Avez-vous effectué de nombreuses recherches historiques? Etes-vous allé sur le terrain, notamment en Picardie?

Je vais décevoir vos lecteurs, mais pas du tout. J’ai commencé par lire beaucoup. Et je me suis rendu compte que j’accumulais énormément de documentations et que c’était plus un anxiolytique qu’autre chose; mon sujet m’impressionnait, et je reculais le moment de me mettre au travail. En fait, je ne me suis pas déplacé. En revanche, j’ai lu énormément de quotidiens nationaux de l’époque qui sont tous mis à notre disposition sur le net par la BNF (N.D.L.R. : Bibliothèque nationale de France), mais aussi des quotidiens régionaux. J’ai vu beaucoup d’images de l’INA. J’ai plus utilisé une méthode d’immersion qu’une méthode d’enquête.

Votre roman est à la fois une charge contre l’absurdité de la guerre, contre les puissances de l’argent, contre la bourgeoisie. Que vouliez-vous montrer?

Je crois que mon travail a été dirigé, piloté par une pensée qui est celle d’Anatole France qui disait : « On croit mourir pour la patrie, mais on meurt pour les industriels. » Quand je me penche sur la première guerre, je suis loin d’imaginer qu’elle a été provoquée pour les raisons industrielles et capitalistes. Mais il n’y a aucun doute que de toutes les guerres – et celle de 14 peut-être plus que les autres – le capitalisme s’en nourrit. L’industrie adore la guerre avant, pendant, après. Et j’ai pensé que si on regardait l’après-guerre, l’axe était encore plus amère, plus décapant. J’ai également trouvé qu’il y avait une résonance forte avec la France d’aujourd’hui. (Il ne s’agit pas de dire que la France des années vingt ressemble à la France d’aujourd’hui; ce serait politiquement et économiquement idiot). En revanche, qu’il y ait des résonances entre les deux périodes est assez frappant. Dans les deux cas, on a un système social complètement en panne, incapable de faire de la place aux gens qui se trouvent en situation de précarité. Comme aujourd’hui, on a des populations – les chômeurs – qui n’ont pas démérité et que le système est incapable d’accueillir en son sein. Et comme aujourd’hui, la précarité pousse à l’exclusion, et on a des générations de travailleurs pauvres, c’est-à-dire des gens qui travaillent mais dont le niveau de vie est quasiment inférieur au seuil de pauvreté. C’est exactement ce qu’il est arrivé à ces jeunes soldats au sortir de la guerre; il m’a semblé qu’il y avait là une résonance avec la société d’aujourd’hui; cela me semblait pouvoir être défendu.

Votre analyse revêt souvent des connotations marxistes.

En fait, ce n’est pas très difficile de discerner dans mon livre les valeurs idéologiques qui sous-tendent mon travail. On pouvait les discerner déjà dans Cadres noirs ( N.D.L.R : édité chez Calmann-Lévy, prix Le Point du polar européen 2010; Livre de Poche, 2011) où je montre l’histoire d’un chômeur de 57 ans qui se retrouve mis en ban de la société. Même quand j’écrivais des romans policiers, il n’était pas difficile de savoir quelle était ma famille d’esprit. Je n’ai aucune raison, surtout aujourd’hui, de les nier d’autant que je les porte, et elles portent mon travail. Je ne suis pas un écrivain prolétarien, pas un écrivain socialiste (pour faire référence aux grandes écoles). En revanche, mes valeurs vous les avez assez bien résumées.

« Pour moi, écrire, c’est décrire »

Pourquoi avoir fait un aristocrate que cet horrible Pradelle? On s’attendait, de par sa conduite, qu’il soit un bourgeois.

En fait, les trois personnages représentent un peu les trois grandes strates de la société : le milieu le plus populaire est représenté par Albert, petit employé, issu des classes moyennes; la grande bourgeoisie par la famille Péricourt; et l’aristocratie par Aulnay-Pradelle. En vérité ce que j’ai essayé de travailler sur la question de la bourgeoisie, c’était le fait que le jeune Edouard a quand même des réflexes de grand bourgeois : il s’intéresse peu à l’argent; il ne semble pas honteux d’être pris en charge et d’être servi; et quand il a une idée, il sait faire de l’argent comme son père. Il a beau critiquer son père, il sait, comme lui, faire de l’argent comme si c’était rentré dans son ADN. Il ne pouvait pas avoir trois personnages qui jouaient le même rôle. J’ai préféré faire jouer à Pradelle le rôle d’un aristocrate, certes assez fin de race. Ca me permettait de réaliser une fresque un peu plus large et de ne pas concentrer trop sur la bourgeoisie qui n’était pas mon seul propos. Comment vous dire? Vous avez deviné que les deux grandes influences de mon travail sont d’un côté Dumas, de l’autre Tolstoï. Et si je voulais avoir, du côté de Tolstoï, quelque chose de l’ordre de la fresque (très modestement car je ne veux pas me situer dans le sillage de Léon Tolstoï), cette fresque devait balayer l’ensemble de la société. La guerre de 14 signe de manière définitive la suprématie de l’aristocratie qui, depuis la fin de la Révolution française, avait repris du poil de la bête. Donc, ça me permet de balayer un peu plus largement le spectre social de la France des années 1920.

Ce n’était donc pas une charge contre l’aristocratie?

Non, pas du tout; je n’ai rien contre les particules.

Parmi vos personnages (Edouard, Albert, Madeleine, M. Péricourt, Merlin, etc.), quel est celui qui, au final, vous paraît le plus sympathique?

C’est certainement Albert car il est tendre, touchant, émouvant. Je lui trouve beaucoup de qualités humaines et, comme beaucoup de romanciers, je m’intéresse plus aux faiblesses des personnages qu’à leur force, et celui-ci est bourré de faiblesses. C’est celui qui ressemble le plus à ce que je suis ou ce qu’est mon voisin de palier. C’est vrai que je n’aimerais pas trop prendre un café avec Merlin car il sent mauvais, mais du point de vue de la proximité idéologique, c’est certainement de Merlin que je me sens le plus proche. Mais on n’a pas envie de prendre un café avec lui!

C’est vrai qu’il a quelque chose d’héroïque. Une manière de Don Quichotte.

J’aimais beaucoup l’idée que cet homme qui représente une valeur importante – la République. Il estime que chacun a le droit à une égalité de traitement devant la loi, vivant comme mort. Il est soudain, tardivement, touché par une sorte de grâce républicaine. Peut-être toujours a-t-il été vertueux sur le plan de la République. Mais c’est un type absolument infréquentable pour un tas de raisons; j’aimais bien que ce soit ce genre de type qu’on ait le plus envie de revendiquer; cette idée me plaisait bien. Ca fait partie des paradoxes avec lesquels j’aime bien jouer.

Vous donnez l’impression de plus travailler par scènes que par chapitres. Est-ce une volonté de votre part?

C’est tout à fait vrai. Et il m’arrive fréquemment de parler d’une scène en voulant parler d’un chapitre. C’est l’héritage naturel de la manière dont je travaille; ce n’est pas tellement une volonté de scénographier. C’est la manière même dont une histoire se fabrique. C’est-à-dire que je ne peux pas écrire un chapitre, une scène, si mentalement, je ne la vois pas, si je ne peux pas projeter la scène sur mon écran intérieur. Au point même qu’écrire, c’est décrire. Décrire ce que je vois sur la scène. Du coup, ça donne à la fois un certain souci du scénario, un grand souci de la mise en scène littéraire, et en même temps ça me permet de donner une rythmique assez particulière, assez spécifique à ma façon de travailler. Un certain ton, un certain rythme. Certaines scènes dont on parlait à l’instant, je peux vous dire si demain, je devais les tourner, je sais exactement comment je les tournerais, comment je mettrais la caméra, je sais précisément ce que je demanderais aux acteurs, car la scène je l’ai tellement vue (je n’ai fait que la décrire)… Faire le film, pour moi, ce serait simplement calquer ce que j’ai imaginé de façon quasiment mécanique. Ma façon à moi de bâtir une histoire, est une manière très cinématographique. Je n’ai pas beaucoup de mérite.

C’est vous qui le dites. Revenons à la question première, d’où vous est venu l’idée de ce roman? Avez-vous un grand-père qui a combattu en 14-18?

Je n’ai aucune attache connue avec la guerre de 14. Mon père ne m’en a jamais parlé. J’avais des parents qui avaient vécu pendant la guerre de 14. Lui-même, enfant (il était né en 1905) avait connu la guerre et l’après-guerre. Il ne m’en avait jamais parlé; il m’avait plus parlé de la guerre de 40. Je n’avais donc pas de souvenirs particuliers. Sauf que, je me souviens très bien, qu’assez jeune, j’avais été beaucoup frappé par le fait que, sur un monument aux morts, se trouvait plusieurs fois le même nom. Ca avait beaucoup frappé mon imaginaire de petit garçon que le même nom de famille était répété trois, quatre, cinq fois sur le même monument; c’était pour moi un grand mystère. Pourquoi avait-on mis trois fois le même mec? Jusqu’à ce que je comprenne qu’il y avait eu plusieurs morts dans la même famille. Mon imaginaire avait été frappé par la dévastation de cette guerre. En fait, quand j’ai commencé à lire, adolescent, les premiers écrivains combattants, j’ai été absolument transpercé par Les Croix de Bois, de Dorgelès. A partir de 17 ans, cet ère est rentrée dans mon imaginaire. Ce n’était pas une obsession; je n’ai jamais collectionné les livres sur 14-18, mais assez fréquemment , comme ça, quand un livre venait, quand un article me passait sous la main, j’aimais bien me replonger dans l’histoire de cette guerre. Et, il m’est toujours paru naturel que si un jour je devenais romancier, d’écrire sur la Grande Guerre. Des déclencheurs, il y en a plusieurs : un monument aux morts qui m’avait beaucoup frappé car il était d’une laideur assez rare, et surtout, me documentant, j’ai découvert qu’il y avait des catalogues de monuments industriels… Alors là, je n’ai eu aucun mérite, n’importe quel auteur de polars se serait dit : « Là, il y a un sujet! » N’importe qui y aurait pensé. Imaginer une carambouille et la croiser avec le triste sort des hommes qui étaient revenus de la guerre, le sujet était vraiment offert…

« Un personnage à faiblesses »

Quelle est la part de réalité dans votre roman? Est-ce que Maillard, Péricourt et les autres ont existé?

Evidemment, que la guerre de 14 a fait le sort de beaucoup d’Edouard, de beaucoup d’Albert; ils ne sont pas tellement exceptionnels. Edouard est un artiste homosexuel. En 1920, ce ne devait pas être une rareté. Des Albert et des Edouard, il y en a eu plein… Je travaille toujours sur des gens assez ordinaires à qui il arrive des choses un peu hors de l’ordinaire. C’est parce que je suis romancier.

Albert peut faire penser à un personnage d’un roman d’Emmanuel Bove.

Tout à fait. Il est très très proche de l’univers d’Emmanuel Bove. Il agit beaucoup sur l’effacement, la modestie, sur les petites choses du quotidien. Fondamentalement, il est sentimental; c’est un personnage à faiblesses. C’est typique de Bove, bien sûr.

Comment passe-t-on du polar au présent roman?

La question m’est souvent posée, mais, moi, je ne me la suis jamais posée. Je suis romancier. Je suis passé d’un roman à un autre roman. Je viens de la littérature de genres, le roman policier repose sur des savoirs-faire qui lui sont spécifiques. Ils sont rentrés dans mes méthodes de travail. Il n’y a aucune raison que, changeant de genre, je change complètement mes habitudes littéraires. Ce sont celles que j’aime. Elles viennent de Dumas, du roman feuilleton, du roman populaire. Je n’ai aucune raison de changer ma façon de travailler. Je suis même surpris; j’ai même lu des choses très étonnantes. Certains ont écrit : « C’est son premier roman. » D’autres ont dit : « C’est son premier vrai roman. » Un journaliste a même dit : « C’est son premier roman, avant il écrivait des polars. » Là, pour le coup, ça me mettrait même un peu en colère parce que, malgré tout ce qu’on a appris depuis Simenon, certains estiment que le genre du roman noir ou du roman populaire n’a pas de légitimité littéraire. La bonne nouvelle avec ce Goncourt, c’est que l’Académie Goncourt vient d’affirmer là qu’un auteur de romans policiers est aussi un écrivain à part entière. Donc, la question a plutôt tendance à m’agacer. Avec beaucoup d’amitié.

Quel a été votre parcours?

Je suis originaire de la région parisienne; j’ai fait toute ma carrière dans le domaine de la formation pour adulte. J’ai une formation de psychologue à l’origine. J’ai enseigné la littérature auprès d’adultes pendant très longtemps - mais je n’ai jamais été professeur - ce dans le cadre de la formation continue. J’ai enseigné la littérature à des bibliothécaires. J’ai fait une grande partie de ma carrière dans des entreprises.

« Je paie mes dettes à la littérature »

Vous avez évoqué vos auteurs préférés, pourtant, vous n’avez pas cité Balzac. L’argent tient un grand rôle dans ses romans, comme il tient une place importante dans le vôtre.

Evidemment Balzac est forcément là. Ce n’est pas l’auteur avec lequel, idéologiquement j’ai le plus d’accointances; les valeurs véhiculées par Balzac sont loin des miennes. En revanche, c’est un auteur qui a beaucoup compté dans ma formation intellectuelle et littéraire, notamment en ce qui concerne la bourgeoisie, le rôle de l’argent comme moteur des grandes passions humaines. J’ai hérité ça de Balzac.

Quels sont les autres auteurs que vous aimez?

Marcel Proust reste pour moi le seul auteur que je relis régulièrement depuis quarante ans. Il y a aussi les contemporains français : Echenoz, Toussaint (que j’ai beaucoup lu et que je connais bien), Emmanuel Carrère, etc. Ce qui est très frappant c’est qu’on n’est pas l’écrivain de ses admirations; on n’est pas l’admirateur de ce qu’on écrit. En fait, il y a vraiment deux personnes différentes : l’écrivain que je suis est très très éloigné des écrivains que j’admire le plus en tant que lecteur. En tant qu’auteur, je suis plutôt admirateur des écrivains du XIXe, plus proche, parmi les modernes, de quelqu’un comme Patrick Rambaud. Le lecteur qu’on est n’a pas grand-chose à voir avec l’auteur que l’on devient.

Comment vous sont venus ces magnifiques personnages seconds rôles que sont Merlin et le Grec?

Vous citez justement deux personnages que j’ai empruntés à deux auteurs que j’admire beaucoup. Le personnage du Grec, physiquement, je l’ai emprunté à Carson McCullers, pour laquelle

Pierre Lemaitre, écrivain, Goncourt 2013. Courbevoie, novembre 2013.

j’ai une immense admiration d’écrivain. Le rôle de Merlin, c’est un clin d’oeil admiratif et amical à Louis Guilloux qui est aussi, pour moi, l’un des plus grands écrivains du Xxe siècle, et qui, dans Le sang noir, magnifique roman sur la guerre de 14, raconte une journée de la vie d’un homme; cet homme s’appelle Merlin. Vous avez touché là deux auteurs qui font partie aussi de ma manière de faire. Je considère mon travail comme un perpétuel exercice d’admiration à la littérature; je suis un écrivain qui ne cesse de payer ses dettes à la littérature. Ma manière à moi de le faire, c’est de glisser des pastiches d’autres romans, des personnages dont je garde les noms ou prénoms, ou certains traits physiques, et les personnages deviennent autre chose. Ce sont souvent des salutations. A la fin du livre, je cite un grand nombre d’auteurs.

Vous allez vous rendre, sous peu, à la librairie Martelle, à Amiens, et au Touquet. Connaissez-vous ces deux villes?

Oui, je connais ces deux villes.

Quels sont vos projets?

Très prosaïquement, ce sera la promotion du livre. Aller au devant des journalistes et des lecteurs qui me font l’amitié de s’intéresser à mon travail. Ce jusqu’à la fin de l’année. A partir de janvier, les choses commenceront à s’alléger un petit peu. Donc, je vais me remettre au travail. Je vais passer quelques mois à superviser le scénario d’une équipe qui va tourner un film, adaptation de mon livre Alex. Il s’agit d’une équipe américaine, et je participe au scénario. Dans deux ans, le film devrait être sur les écrans. J’ai également un livre en cours. Ce ne sera pas un roman policier tout de suite, mais je n’ai aucune raison de bouder aujourd’hui ma famille d’origine, et je me réserve tout à fait le droit et le plaisir de revenir au roman policier dès que je sens que je détiens une bonne idée.

Propos recueillis par

PHILIPPE LACOCHE

« Au revoir là-haut », Pierre Lemaitre, Albin Michel, 567 p.; 22,50 euros.

Des livres de Jacques Béal adaptés au cinéma par Beineix

 

«Philippe Lacoche a besoin de rafraîchir ses connaissances dans la langue de Cervantes. En effet, dans le C.P. du 8/XI, p.X, à propose du livre La tentation du Pire, il écrit « nos pasaran ».En réalité, c’est (avec un point d’exclamation renversé au début) No pasaràn! (ils ne passeront pas). En fait, ils sont passés…» Voilà la lettre que nous envoyée un lecteur attentif. Il a raison. Désolé pour le point d’exclamation renversé et pour l’accent aigu sur le « a »; je ne les ai pas trouvés sur le clavier de mon ordinateur. En revanche, pour le «s» à «no», j’en suis encore plus désolé car je connais l’expression. Et l’erreur n’est pas de mon fait. Si, à la rentrée scolaire de1971, je suis allé au lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin (distant de 25 kilomètres de Tergnier), plutôt qu’au lycée Gay-Lussac, à Chauny (distant de 7,5 kilomètres), c’était pour échapper à l’apprentissage de l’allemand, langue qui m’effrayait, comme elle avait effrayé, après 1945, le philosophe Jankélévitch. J’ai donc opté pour l’espagnol, langue dont je suis tombé amoureux. L’expression «No pasaran!», je la connais bien pour l’avoir entendue dans les réunions de l’AJS (Alliance des jeunes pour le socialisme) auxquelles des copains trotskards m’entraînaient, et dans lesquelles, je finissais par m’ennuyer, trouvant Marx et Marchais bien plus rock’n’roll. Coquille de correction? Je n’en sais rien. C’est bizarre. De l’Aisne, j’aurais pu en parler avec mon bon copain Jacques Béal, ex-grand reporter au Courrier picard, et écrivain, avec qui j’ai déjeuné, mercredi, à Amiens. Il est originaire de Chauny; c’est donc un presque Ternois. Jeunes, nous avons fréquenté les mêmes bistrots, les mêmes lieux de nuit (La Huchette, La Loggia, le Daguet, etc.). Mais, non.Nous avons parlé de ses projets.Deux de ses livres, Bessie Coleman, l’ange noir (Michalon, 2008) et Les Ailes noires (Presses de la Cité, 2011) seront adaptés par le cinéaste Jean-Jacques Beineix qui prépare un documentaire-fiction autour de l’aviatrice. Par ailleurs, sa très belle anthologie des poètes de la Grande Guerre parue il y a quelques années, sera rééditée en octobre

Jacques Béal, écrivain, journaliste. Novembre 2013.

2014 par le Cherche-Midi car un spectacle est en train d’être monté autour de Philippe Torreton comme lecteur et d’un orchestre de musique baroque anglais, le tout mis en scène par Jean-Luc Revol. Les poèmes seront traduits en anglais. Le spectacle sera notamment donné à la Comédie de Picardie, puis au Festival de Brighton en 2015. Good news!

Dimanche 17 novembre 2013.