À la mémoire de Léon Apollinaire Bazin, d’Auchonvillers

 

Attablé devant un café à mon QG, la brasserie L’Aquarium, j’interviewe Frédéric Mathieu, auteur d’un livre, 14-18, les fusillés, paru aux éditions Séribot (2, rue Raymond-Fassin, 92240 Malakoff). Frédéric est informaticien de profession. Il a toujours été passionné par l’histoire, par les derniers survivants des guerres notamment. Là, il a effectué un travail de recherche remarquable sur les fusillés pour l’exemple de la Grande Guerre. Il a dénombré quelque sept cent cinquante. Ce n’est pas rien. Fusillés pour l’exemple. L’horreur absolue. Le peloton d’exécution pour de pauvres types qui ont eu le malheur de paniquer devant les avancées teutonnes, ou de ne pas revenir à l’heure, ou d’être victimes de l’obusite (sorte d’état second provoqué par les bombardements et qui conduit à faire n’importe quoi, à perdre ses repères; les vieilles badernes en culottes de peau en profitaient pour y voir un acte de désertion). Frédéric Mathieu est clair: aucun de ces Poilus ne méritait la mort. Ils étaient seize originaires de la Somme. L’un d’eux, Léon Apollinaire Bazin, d’Auchonvillers (80), dans la nuit du 8 au 9octobre1914, alors que le 16e RIT tentait de maintenir ses positions devant Bienvillers-aux-Bois, dans le Pas-de-Calais, disparaît de sa compagnie, abandonne armes et uniforme dans une grange, puis rejoint à pied son village natal situé à douze kilomètres. Son but: revoir sa mère Léontine, 65 ans, veuve, élève des pupilles de l’assistance publique, qui réside rue Dufour, à Auchonvillers. Survient un bombardement. Il fait demi-tour. Il est interpellé par deux brigadiers, à Pommier (62). Léon Bazin explique qu’en aucun cas il a voulu déserté. «Je voulais juste revoir ma mère», explique-t-il. Celui qui avait été successivement sapeur pompier à Paris, policier à Amiens, employé à l’hôpital Claude-Bernard, à Paris, cocher de fiacre, chauffeur d’automobile à Saint-Ouen, fut passé par les armes pour abandon de poste le 16octobre1914, à 6

Frédéric Mathieu, écrivain, auteur du livre "14-18, les fusillés". Paris, L'Aquarium. Octobre 2013

heures du matin, devant le 16e RIT rassemblé, à Bavincourt (62).Il avait 36 ans. L’abbé Laloy, aumônier du régiment, qui l’accompagna juste bout, nota dans son journal: «Le ciel d’octobre continue d’être bas et triste et décidément le soleil n’illuminera pas cette journée.» Il dit aussi que la brume permettait à peine de distinguer le poteau fatal.

Dimanche 20 octobre » 2013