Quand l’Allemagne martyrisait l’Europe

Thomas Stern vient d’écrire un roman magistral, sans langue de bois, sur son oncle Thomas Elek, communiste, juif hongrois, héros du Groupe Manouchian, massacré à 19 ans par nos bo

Thomas Stern, son oncle était Tjhomas Elek, massacré par nos bons amis d'Outre-Rhin. Il avait 19 ans.

Thomas Stern, son oncle était Tjhomas Elek, massacré par nos bons amis d’Outre-Rhin. Il avait 19 ans.

ns amis d’Outre-Rhin.

Comment ne pas aimer un roman dont le héros, Thomas Elek, juif hongrois, membre de FTP-MOI, groupe de partisans « organisés en France par les communistes, au coeur de l’immigration espagnole, italienne, arménienne et juive d’Europe centrale », évide un exemplaire relié du Capital, de Karl Marx, y installe une bombe, et dépose le tout dans les rayons de la librairie franco-allemande Rive Gauche, à l’angle de la place de la Sorbonne et du boulevard Saint-Michel ? Elle explose, provoque des dégâts matériels importants mais n’atteint pas Brasillach et Rebatet qui fanfaronnaient là comme deux coqs sur un tas de fumier nazi. Roman ? Difficile à dire. Son auteur, Thomas Stern, n’est autre que le neveu de Thomas Elek, fusillé à dix-neuf ans le 21 février 1944 avec ses camarades. Roman ? Oui, dans la forme car celle-ci est éminemment littéraire, construite, sincère, subtile et envoûtante. Même si, on le sent, Thomas Stern a refusé tous les effets, toutes les affèteries stylistiques. Il s’est laissé submerger par l’émotion. Il raconte cet oncle au courage inouï ; il raconte ce qu’il a en lui. Point barre. C’est quand un écrivain préfère la sincérité et la justesse au savoir-faire littéraire qu’il nous donne la meilleure littérature. Il y a un ton dans ce livre. Pas une miette de grandiloquence, pas de lyrisme, mais une violence contenue, une rage quasi punk contre ces satanés barbares envahisseurs doryphores. C’est agréable en ces périodes de langue de bois où tout se vaut, où il faut parfois trop facilement oublier. Oui, ça fait du bien quand Thomas Stern cite Johnny, celui qui a fait rentrer son oncle Thomas Elek dans les FTP : « Les flonflons des Fritz et tout leur zim-boum-boum, ça fait trois ans que ça dure. Trois ans qu’ils défilent au pas de l’oie, musique en tête, pour nous montrer qu’ils sont les vainqueurs. Deux ans qu’ils nous gavent, à tous les coins de rue, de Mozart, de Bach, de Wagner, de Liszt et de Beethoven, pour nous rappeler qu’ils sont aussi le Peuple de la Musique. Que la force et la culture, c’est la même chose quand on parade dans le bon uniforme. Maintenant, ça suffit. Soldats, tortionnaires, musiciens, ils se valent tous. Ils sont tous une cible pour les partisans. Dans leur cantines, leurs camions, leurs kinos, leurs bordels. Et dans les kiosques. Ils doivent savoir qu’ils sont plus en sécurité nulle part. Quand ils l’auront compris, ils foutront le camp. » Thomas Stern se met dans la peau de Thomas Elek. Et elle est savoureuse cette détestation sans précaution des bourreaux allemands transformés en touristes avec leurs bottes ferrées, « leurs Leica qui cliquettent, leur bonne humeur chahuteuse après avoir privé l’Europe entière de joie ». On ne restera pas non plus insensible quand Ernst Jünger en prend pour son grade, pages 101, 102 et 103 : « Jünger, en bon Prussien, rectifie la position et se montre sous un jour impeccable : il l’a fait avec Orages d’acier (2 500 variantes de texte) parce que les câlins martiaux des nazis dans les années 30 le mettaient mal à l’aise. Il le fait ici pour que la postérité disculpe l’homme de lettre des saloperies qu’il a, en soldat, tacitement acceptées. »

Thomas Stern explique qu’il a écrit ce livre pour que Thomas Elek reprenne vie. Il y parvient de façon magistrale. Au sortir d’une consultation électorale aux inquiétants résultats, ce livre est vraiment à mettre entre toutes les mains.

PHILIPPE LACOCHE

Thomas et son ombre, Thomas Stern, Grasset. 216 p. ; 17 €.