Embareck s’abandonne

 Les écrivains ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils ne font plus les écrivains, qu’il lâchent prise. « Rock en vrac » : l’Embareck qu’on attendait.

 

Michel Embareck, excellent écrivain, fan de rock, ancien critique à Best.

Ce n’est pas toujours dans les œuvres qu’il voudrait majeures, léchées, travaillées, capitales, que l’écrivain donne le meilleur de lui-même. Le romancier confirmé peut encore surprendre son lecteur, entraîner son adhésion, sa passion brûlante, au détour d’un court récit intime, d’une nouvelle sous forme de confession où il s’abandonne, où il lâche prise, où il ne «fait pas l’écrivain».C’est Paul Léautaud avec Amours. C’est Patrick Besson avec 28, rue Aristide-Briand. C’est Henry Miller avec J’suis pas plus con qu’un autre. C’est Dumas avec ses récits de chasse. C’est Michel Embareck avec Rock en vrac. Embareck, c’est une patte. Un style. Une écriture hérissée comme la crête d’un punk à chiens. Le rythme du trépignement rageur de l’enfant que Céline eût fait à Nancy Spüngen, regrettée petite fiancée de Sid Vicious.

Ancien critique à la meilleure revue de rock français (Best), aujourd’hui chroniqueur sportif à Libération, Michel Embareck nous donne à lire ses rencontres avec «des caïds du rock et du roman noir». C’est souvent brut de décoffrage, sans afféterie, urgent, énergique et, parfois, non dénué de poésie urbaine. On y retrouve quelques fantômes adulés, mythiques, qui continuent de hanter les mémoires de ceux qui ont eu le privilège de les croiser: Christian Lebrun, rédacteur du chef de Best, noyée dans la Manche en1989; Patrice Boutin, directeur de la même revue, tué une nuit d’été de1983 au volant de sa Ferrari. On y trouve aussi la folie des années punk londoniennes : «Le punk, c’est le mai1968 du rock’n’roll.» Les pages qu’il consacre à Rock d’ici, la rubrique du rock français de Best, sont justes, émouvantes et bien vues. Little Bob et Bijou y passent, imprègnent ses mots de leurs riffs. Le chapitre intitulé «La guitare de Bo Diddley» est un régal.On y retrouve l’Embareck et son confrère Jean-Luc Manet en extase devant la gratte Gretsch du maître, et cette chute superbe, des deux mecs fuyants sous la pluie, avec, sous leurs blousons, les programmes des Transmusicales dédicacés par le Diddley. On dirait une chute d’une nouvelle de Vincent Ravalec. Ce livre est bon. Il sonne comme si «le rockabilly s’était jeté dans les bras du blues».Cette phrase est d’Embareck; c’est celle d’un bon écrivain.

PHILIPPE LACOCHE

«Rock en vrac, rencontres avec des caïds du rock et du roman noir», Michel Embareck, L’Écailler rock, 220 pages, 18 euros.