Punk ébouriffé avant l’heure, résistant, Robert Giraud passa sa vie dans les bistrots et auprès du peuple de Paris. Et vécut avec les clochards.
Quel bon livre! Quel livre à la fois émouvant et réjouissant! Et Robert Giraud (1921-1997), quel écrivain! Regardez un peu sa tête de poulbot ébouriffé, de punk avant l’heure. Un look entre Johnny Rotten et Sid Vicious. Un sacré personnage aussi. Courageux résistant dans le Limousin (condamné à mort, il dut son salut à la libération de Limoges par les forces de Georges Guingouin), il monte à Paris, vit quasiment dans la rue, puis deviendra journaliste pigiste pour différents journaux (dont Franc-Tireur, Paris-Presse, France-Soir, etc.) et écrivain, auteur notamment de l’épatant et mythique Vin des rues (Denoël, 1955).Le présent ouvrage, Le Peuple des berges,
réunit des textes publiés en octobre1956 dans Qui? Détective. Et c’est un régal. Robert Giraud - qui entre temps est devenu Bob Giraud - dresse dans un style élégant, efficace et sans graisse, le portrait des clochards de Paris au sortir de la guerre. Faut-il préciser que Giraud a puisé dans ses souvenirs encore frais pour écrire? Il les avait connus de près tous ces personnages hauts en couleurs: l’Amiral, roi des clochards, le Chat, champion du détroussage des amoureux des bords de Seine, Riton, homme des bois spécialiste du ramassage de la verdure, Ralph, pêcheur - braconnier - dans la Seine… Les apprentis journalistes, reporters en herbe, devraient tous lire Giraud. Son style est une leçon non pédante de journalisme. Il mêle poésie, fiction légère et âpre réalité. Un Henri Calet en chat de gouttière, un Blaise Cendrars en moins bavard, un Prévert de la prose. On y croise des petits vieux affamés qui font les poubelles. Là, on se bat pour une place sur une grille d’aération de métro; ici, on chipe un colin sur l’étal d’un poissonnier. Gégène confie qu’il a «le virus de l’honnêteté» et qu’il souhaiterait que soit créé un statut «de clochard artisan ou commerçant; un clodo qui aurait une situation pour ainsi dire…» La plume de Robert Giraud est tour à tour tendre, réaliste, très française. Toujours belle. Ce libertaire pensait que le pire instrument de servitude était l’argent. Il vécut toute sa vie dans la gêne. Un type pareil ne peut avoir tort.
PHILIPPE LACOCHE
«Le Peuple des berges», Robert Giraud, préf. d’Olivier Bailly, Le Dilettante, 128 p.; 12 euros.