Le Bonjour de… Philippe Lacoche

L’étoile de la République

La Marquise et moi, marquis des Dessous chics, à bord de mon carrosse Peugeot 206, tiré par cinq magnifiques chevaux fiscaux, avons décidé de fêter la République, le soir du 13 juillet, dans la Picardie profonde. Direction Long: dans la douceur du soir, un air digne de L’Été finit sous les tilleuls, de notre écrivain préféré, le monarchiste Kléber

, nous avons croisé des enfants équipés de lampions. Nous avons regardé le feu d’artifice depuis le pont sur la Somme, devant un homme qui avait la nuque de Bertrand du Guesclin. Et nous avons terminé la soirée à L’Étoile en dansant un rock endiablé sur une chanson de Johnny. Vive la République! Et surtout, vive la France!

Le plus français des chanteurs anglais sur la terre de nos amis alliés

Murray Head sera à Chaulnes, demain samedi.

Murray Head sera la tête d’affiche de l’Overdrive Festival, ce samedi 15 octobre, à l’espace socioculturel de Chaulnes, dans l’Est du département où nos amis alliés, britanniques, australiens, etc.,  se sont si courageusement battus contre les hordes teutonnes. Il a répondu à nos questions.

Le chanteur britannique Murray Head occupera le devant de la scène samedi 15 octobre pour l’Overdrive Festival, à l’espace socioculturel de Chaulnes (près de la gare TGV Haute-Picardie). Il interprétera ses tubes « Say It Ain’t So » ou encore « One Night in Bangkok ». Il partagera l’affiche avec l’Irlandaise Grainne Duffy,  dont la voix rappelle parfois celle de Janis Joplin, selon les spécialistes. Les Bordelais d’Eros seront également à l’affiche. Les groupes locaux seront aussi présents : les Chaulnois de Libido, vainqueur du tremplin cette année, de même que le groupe Etté, originaire de Bayonvillers.

L’année 2015 a marqué les 40 ans de la sortie du célèbre album « Say it ain’t so Joe », porteur de la chanson éponyme. Si vous deviez résumer cette carrière en quelques phrases, que diriez-vous ?

Murray Head : je pense que j’ai été influencé par mon intuition, plus que tout. C’est l’intuition qui me prévient, qui me fait tenir la vie comme je la vis, avec des précédents et des priorités en tête. Ca veut dire que c’est seulement récemment, en regardant en arrière, que j’ai pris conscience de cette intuition (cet instinct en français, mais j’associe plus ce nom aux animaux) ; en fait, la célébrité est une chose assez dangereuse, car à partir d’un certain moment, on a du mal à la contrôler. Or, aujourd’hui, les gens cherchent plus la célébrité que la joie qui peut provenir simplement de ce qu’on fait pour tenter de gagner cette célébrité. Je fais partie d’une génération qui avait du mal à s’exprimer parmi nos parents. La musique c’était donc l’un des moyens de s’exprimer, plus que l’écriture. On a donc sauté sur le blues, sur les bluesmen avec toute l’inquiétude que portent leurs chansons. Les intellectuels bourgeois étaient assez intelligents pour apprendre dans le style perroquet sans vraiment comprendre que le blues recèle une certaine spontanéité. On a aucun problème à piquer les paroles d’un autre bluesman, piquer les mêmes accords. Mais joué par un individu, ça devient unique. On pensait alors qu’il ne s’agissait de chansons qui comportaient douze mesures. Mais parfois, il y avait onze ou treize mesures… ces petits trucs qui donnent ce truc unique au blues. Je n’ai pas compris ça quand j’étais jeune, mais plus tard on se dit : « Cette chanson est différente… il faut chercher pour la comprendre ; c’est subtile… » Les producteurs de l’époque sont allés en Amérique quand la vague du blues était déjà terminée. Elle était remplacée par le jazz moderne. Les bluesmen de l’époque travaillaient, réparaient des ascenseurs, tournaient des manivelles, ou bossaient dans les chiottes publiques… et les producteurs les ont trouvés, ces grands bluesmen. Ca ne coûtait rien. Ils les ont ramenés dans de grands festivals, dès 1961 et 1962.

C’était le British blues boom.

Exactement. C’était au moment où la bourgeoisie atteignait sa apogée, enfin presque… Nous, on était encore des teenagers. C’était exactement ce qu’il fallait : prendre la misère des autres, parce qu’on avait été élevés dans le coton. On ressentait peu d’émotions ; on ne savait pas qui étaient les filles, et les filles ne savaient pas qui étaient les garçons car on était élevés dans des écoles séparées, non mixtes. Ca explique que cette génération a sauté sur le blues et que cela a influencé toute la musique depuis.

Quand vous dites que vous avez été élevés dans le coton, vous êtes très modeste. Vous êtes né en 1946, l’écho des bombes allemandes résonnaient presque encore sur Londres…

C’est vrai. Mais les parents ont tout fait pour qu’on oublie la misère et l’horreur de la guerre. C’est seulement quand j’ai écrit mon autobiographie que j’ai posé des questions à mes parents. Je suis parvenu à comprendre… Il faut atteindre un certain âge pour comprendre ce qui s’est réellement passé. On réfléchit. J’ai réalisé que mes parents, à leur majorité, avait la guerre qui pesait sur eux. Ils commençaient à gagner un peu d’indépendance, et juste à ce moment-là, la guerre s’est déclarée. Ils n’avaient plus aucun contrôle sur leurs propres vies ; ils vivaient au jour le jour. Ca explique pourquoi, ils ont eu quand même une retraite bien organisée. Je pensais, moi aussi, pouvoir, comme eux,  jouir d’une calme retraite. Ce fut impossible. Nos parents savaient qu’à leurs fins de leurs vies, ils pourraient léguer un héritage à leurs proches. Ils avaient de quoi passer une vie calme ; aujourd’hui, on n’aura pas d’héritage car, ce qui se passe, c’est que les parents arrivent  à des âges où ils sont contraints d’aller dans des maisons de retraite. Ca coûte cher et ils sont maintenus en vie dans ces établissements, et au final, il n’y a plus d’argent. Et, comme par miracle, au moment où il n’y a plus d’argent, ils meurent. L’argent des héritages est bouffé par des maisons de retraite. C’est l’Etat qui récupère… Tout ça pour dire, que finalement, je n’ai pas grand-chose en commun avec mes enfants ; et je n’avais pas grand-chose en commun avec mes parents… Finalement, on naît dans une génération ; c’est avec la génération qu’on appartient qu’on doit s’amuser et se comprendre. Tout ça pour dire que si j’ai pu mener à bien une aussi longue carrière, c’est en évitant des excès de célébrité, je suis parvenu à éviter certaines choses. On me disait que ce n’était pas sage de faire ci ou ça ; je n’ai jamais cherché à avoir des tubes ; beaucoup de gens de mon âge recherchaient les tubes. Ca ne m’intéressait pas. De même, je n’ai jamais chassé le cachet en tant que comédien. Aujourd’hui, c’est incroyable comme les comédiens chassent le cachet.  Moi, ce qui m’intéressait, c’est ce qu’on faisait. La musique qu’on faisait. Quand j’étais plus jeune, la musique était ma maîtresse et j’étais marié. Dès que j’ai divorcé, la musique est devenue ma femme, et ma femme est devenue ma maîtresse.

En 1966, vous obtenez votre premier contrat en tant que comédien, auprès d’EMI. C’était l’époque du Swinging London et du British Blues Boom. Quelle était l’ambiance à l’époque ? Alliez-vous au Marquee club ? Connaissiez-vous Chicken Shack, John Mayall, Jeff Beck, Graham Bond ?

Oui, bien sûr; j’étais spectateur. Lorsque j’avais huit ans, j’ai été influencé par Ray Charles. J’aimais le jazz traditionnel. La musique, c’était ma vie, mon monde. L’autre façon de s’exprimer, c’était grâce à la peinture. Il y avait de nombreux collèges d’art où se formaient les groupes. Je suis allé à l’école avec les Yardbirds. J’ai vu Rod Stewart jouer de l’harmonica à ses débuts. Il ne chantait même pas; il remplaçait Cyril Davies. J’étais au premier concert d’Hendrix, à Londres. J’ai vu les Stones jouer à Richmond. Il y avait de nombreux clubs (le Speakeasy, etc.) où les musiciens ne faisaient que des bœufs. Je me souviens qu’un soir Johnny Hallyday est venu dans un club ; il a voulu jouer la carte de la célébrité, mais malheureusement la première chose à apprendre avec la célébrité, c’est qu’il y a des frontières, et qu’on est moins célèbre… Ils n’ont pas laissé rentrer Johnny ; il avait enlevé ses lunettes noires, mais la femme à l’entrée n’a rien voulu savoir. Elle ne l’a pas reconnu. La célébrité, à l’époque, ce n’était pas important. C’était même un handicap. On voyait Clapton, Pete Townshend et d’autres jouer dans le même club ; c’était habituel. Tout le monde jouait avec tout le monde parce personne ne pensait à l’argent. A cette époque, tout était possible. On était de nombreux musiciens mais on trouvait le travail qu’on voulait. Ce n’était pas réglementé comme aujourd’hui.

C’était un peu comme lors de la Nouvelle vague en France, de la Beat generation aux Etats-Unis, du mouvement punk en Angleterre… La société de consommation baissait un peu son caquet. La poésie, l’intuition reprenaient le dessus…

Oui, ça respirait… C’est comme quand la première fois que l’Angleterre a su comment vivait les riches, à travers le fameux procès de Christine Keeller, la prostituée qui avait baisé avec la plupart des aristocrates anglais. Quand le public a vu ce qui se passait parmi ces gens, ça a changé tout… J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec des gens très très riches qui nous employaient comme musiciens. J’étais dans un groupe de gens qui fréquentaient les grandes écoles privées (publics schools).  J’ai joué avec des gens qui étaient tous à Oxford. J’étais traité comme un caniche. J’étais le petit chouchou ; mais on n’avait aucun respect pour moi. On me traitait comme le petit animal qu’on touche de temps en temps. C’était bien de maintenir une certaine objectivité car ça me montrait des modes de vies que je n’aurais pas soupçonnés.

Vous avez participé à la célèbre musicale Hair. Comment cela s’est-il produit ?

Ca s’est passé dans des conditions tout à fait normales. Je venais de réparer une guitare ; je l’avais sur mon dos. Quelqu’un m’a fait savoir qu’il y avait une audition. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait. On m’a dit que c’était pour la comédie musicale Hair qui venait de commencer quatre semaines plus tôt. Je n’avais pas la moindre idée de quoi ça parlait. Je me suis trouvé en concurrence avec une quarantaine de personnes qui étaient mortes de peur car, toutes, voulaient avoir un rôle. Moi, ça m’amusait de voir comment ça se passait pour les auditions. A part ça, je n’avais rien à perdre. Je n’avais aucune appréhension. Ils m’ont appelé sur scène. Il y avait un vieux piano. Ils m’ont proposé de chanter une reprise ; je leur ai répondu non, et leur ai proposé de jouer des chansons à moi. J’ai commencé à chanter. Ils m’ont proposé de chanter une chanson au tempo plus vif. J’ai dit OK. Leur façon de parler était pleine de dédain. J’ai fait une deuxième chanson. Ils m’ont encore réclamé une chanson connue. Je leur ai dit que je ne connaissais que mes chansons. Je leur ai dit : « Je ne sais pas qui vous êtes ! ». Je suis descendu de la scène, et j’ai marché dans le noir, dans la salle, pour rencontrer ces gens. Je leur ai dit : « Je m’appelle Murray Head. Et vous, vous êtes qui ? » C’était une façon de casser la façon hautaine que développaient ces producteur et metteurs en scène.

Cette arrogance.

Oui, cette arrogance. Naturellement, ils ont aimé ma façon de les aborder. Mon audace. Ils m’ont donc choisi pour ça. J’ai fait inscrire dans le contrat que si j’écrivais un tube ou si j’avais un rôle dans un film, il me serait possible de quitter le spectacle. Après quatre mois de spectacle, j’ai écrit un tube, et j’ai décroché un rôle important dans Un Dimanche comme les autres  (N.D.L.R. : Un dimanche comme les autres - Sunday Bloody Sunday - est un film britannique réalisé par John Schlesinger, sorti en 1971.) ; donc j’avais toutes les raisons de pouvoir partir ; j’aurais bien voulu rester, mais Hair, c’était basé sur une sorte de spontanéité, mais en même temps c’était un conflit ; on  nous disait : on veut que vous soyez vous-mêmes. Tentez de devenir uniques, et en même temps, vous devriez jouer des gens qui étaient sur le point de partir pour le Vietnam et brûlaient leurs cartes d’électeurs… or, on n’avait pas le Vietnam en Angleterre. On était dans l’hédonisme pur. Le Vietnam, pour nous, c‘était loin. Mais ce n’est pas ça qui m’a fait quitter Hair. Par un hasard incroyable, ils avaient un problème avec le théâtre. Ils ne pouvaient accéder au théâtre à cause d’une grève. Ils ont donc  préféré répéter pendant trois mois. Pendant ces trois mois, ils ont utilisé de nouveaux comédiens-chanteurs. Tout était basé sur la confiance, sur le groupe ; c’était fabuleux. Nous étions 24 personnes sur scène et nous étions tous uniques ; on arrivait à être une vraie famille sur scène. Malheureusement, après six mois, quelqu’un a crié, parmi les spectateurs, que Sammy Davis , Jr. était dans la salle. Tout à coup, 24 égos se sont découverts afin de montrer à Sammy à quel point ils étaient bons artistes… L’esprit de famille s’est écroulé comme un château de cartes. Tout s’est cassé la gueule  en une soirée. Retour à la compétition.

Vous avez enregistré « India Song », la chanson du film de Marguerite Duras. Pourquoi avoir interprété cette chanson ?

Quand je suis arrivé en France pour faire un film de Molinaro qui s’appelait La Mandarine (1972), ils ont décidé de faire un hommage à Jeanne Moreau. Ils m’ont demandé de choisir une chanson que chantait Jeanne; je suis tombé sur celle-là. J’ai trouvé les paroles magnifiques. Je l’ai apprise ; j’ai participé à cet hommage qui avait lieu au studio de la Maison de la Radio. Après trois heures, je n’avais toujours pas chanté. Elle-même, Jeanne Moreau, est discrètement partie. Vers 16 heures, le metteur en scène est venu me dire : « Je ne pense pas que vous allez chanter… » Un jour, en 1995, j’ai trouvé l’occasion de l’enregistrer. Des gens autour de moi me disaient que je ne devais pas chanter en français ; je me disais : si, si… Je me disais : « Je m’en tape. » J’étais sûr que le public ne pensait pas comme ça. J’ai fait des chansons en français. J’ai même fait une compilation sur laquelle j’ai pu chanter cinq ou six chansons en français. Un voisin, un jour, a joué le disque et il favorisait les chansons en français. Je me suis dit que j’avais eu raison.

Vous habitez en France.

Oui, c’est ça l’idée ; je suis chez moi dans le Béarn, entre Pau et Biarritz. Je fais beaucoup de bricolage ; je remets la maison en état.

Comme beaucoup d’Anglais (Kevin Ayers, Lawrence Durrell, etc.) vous aimez la France.

Effectivement, je suis tombé amoureux de ce pays ; je n’ai aucune envie de jouer en Allemagne ou en Hollande ou en Belgique. J’ai même fait une tournée en Scandinavie ; ce n’est pas mon truc. C’est ici que je veux gagner ma vie. La seule chose un peu triste, c’est que je ne suis pas fermier et que je ne peux pas gagner ma vie ici, dans le Béarn… (Rires.) Donc, je suis contraint de voyager pour faire des concerts ailleurs.

Vous avez beaucoup travaillé sur la correspondance entre George Sand et Alfred de Musset. Cela vous a servi à la co-écriture du scénario du film Les enfants du siècle (1999). Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette passion très littéraire ?

Je venais de rompre avec une amie et je l’ai rencontrée à nouveau un an plus tard ; on commençait à tenter de nous souvenir de ce que nous avions vécu ensemble ; j’ai remarqué qu’elle avait retenu des choses complètement différentes des miennes. (A ce propos, je conseille à tous les couples de tenter de se souvenir des moments qu’ils ont passés ensemble, ce un ou deux ans plus tard, pour voir ce qu’on en a retenu.) A l’époque, on m’a demandé de faire une  interview sur M6 ; ils m’ont demandé le dernier livre français que j’avais, lu. C’était un livre de Philippe Djian, ce n’était pas tout à fait représentatif de la littérature français (ça ressemble plus à Brautigan). J’ai donc demandé à ma copine de me conseiller un livre français ; elle m’a filé Les confessions d’un enfant du siècle. J’ai trouvé ça fabuleux ; l’histoire correspond à celle de n’importe quel enfant d’après-guerre. Cette histoire eût pu se dérouler après la deuxième guerre mondiale. Le narrateur tombe ensuite amoureux d’une femme qu’il essaie de séduire pendant deux ; dès qu’elle lui cède, il la laisse tomber. Il a fait comme tous les mecs : ils laissent tomber quand ils ont gagné. Cette histoire était écrite pour George Sand. C’était écrit en 1835, trois ans après leur passion de Venise. Ca a commencé à m’intéresser. George Sand a attendu la mort d’Alfred afin d’écrire sa version de leur même histoire d’amour. Ca s’appelait Elle et lui. Et le frère de Musset était si fâché qu’il a essayé de prouver à l’Académie française qu’elle avait fait du plagiat en utilisant les lettres d’amour qu’ils avaient échangées. (Ils étaient vraiment radins avec leurs lettres d’amour.) Paul de Musset n’est pas parvenu à prouver le plagiat ; alors, il a écrit un pamphlet qui s’appelait Lui et elle. Dix ans plus tard, une proche de Vigny a écrit une pièce de théâtre qui s’appelait Eux. Ca a commencé à m’intéresser que personne n’ait vraiment su ce qui s’était réellement passé entre ces deux amoureux. Ils furent un peu les Burton et Taylor de l’époque. Dans Fantasio, qu’ils ont écrit ensemble, on voit les deux styles d’écriture. On se rend compte à quel point ils ont partagé leur vie.

Etes-vous actuellement en tournée ?

Non, je fais actuellement environ deux concerts par mois. Une tournée, aujourd’hui sert aux artistes qui veulent gagner énormément d’argent.

Vous venez à Chaulnes, dans l’Est du département de la Somme, où vous compatriotes, nos alliés, se sont battus au cours de la Grande Guerre pour repousser l’envahisseur teuton. Donc, vous venez pour le plaisir, et non pas dans le cadre d’un plan de carrière.

Oui, je viens juste pour le plaisir. Je ne cherche pas les concerts ; j’attends qu’on me sollicite. Et en général, j’accepte. Je vais donc regarder le Wikipédia pour avoir des informations sur Chaulnes. Je vais venir un peu plus tôt, rentrer dans les magasins. Je vais voir la proportion de coiffeurs et de pharmacies, afin d’estimer l’âge moyen de la population de Chaulnes. Avec tout ça, je déciderai quelles chansons j’interpréterai, ou celles que je laisserai tomber. Ce sera une sorte de communion (sans l’aspect religieux). C’est une chance incroyable de pouvoir rencontrer son public, rencontrer des gens qui aiment ce qu’on fait. Ce sera une soirée unique qui n’appartiendra qu’à Chaulnes ; on ne pourra pas comparer aux autres concerts. Il n’y aura pas de format. Je déteste les concepts écrits par un directeur musical. Chaque concert est différent ; on fait des échanges de notes et d’accords ; on suit les idées qui se promènent entre nous. Ca restera une soirée totalement spontanée et vive. Je ne fais pas partie d’une génération qui n’a pas fait du spectacle pour l’argent ; grâce à ça, on n’a pas le poids du besoin de célébrité qui pèse si lourd sur le dos des jeunes artistes d’aujourd’hui. Célèbres à n’importe quel prix. Nous, nous évitions la célébrité car elle influait sur notre art. Cet état d’esprit m’a permis de mener une longue carrière. Au début de nos carrières, nous étions influencés par d’autres artistes, mais on abandonnait ces influences le plus vite possible afin de nous trouver nous-mêmes. Aujourd’hui, ceux qui réussissent ce sont des gens qui ont des voix uniques. On les entend une fois à la radio et on se dit : « Je sais qui c’est… » Ce qui est une sorte de mensonge car les gens qui dominent dans ce monde bizarre de la compétition (Star Academy, Nouvelle star, etc.) n’ont aucun lien avec la réalité du vrai talent ; c’est fait pour des gens qui veulent recycler leurs anciennes chansons : on force les jeunes à chanter des reprises qui ne sont jamais aussi bien que les originaux. C’est fait pour recycler le catalogue. Il y a un cynisme incroyable là-dedans. Après, trois cycles, on balaie tous les jeunes chanteurs pour en faire venir des nouveaux. Ce sont des fausses pistes. Il faut aller à un concert de Star Ac, pour se rendre compte que les gens du public sont là pour voir leur proche, leur enfant sur scène ; ils se contrefichent des autres concurrents. Ils se tiennent comme ils se tiennent chez eux : ils mangent, ils amènent des pique-niques sur place. C’est une toute autre forme de concert où des gens n’écoutent pas mais bouffent… Ca n’a pas grand-chose à voir avec ce que font les artistes de ma génération.

                                                       Propos recueillis par

                                                       PHILIPPE LACOCHE

 

 

 

 

 

Couture : un album qui fera date

Lafayette restera, sans conteste, l’un des meilleurs albums de CharElie Couture. La même force poétique, bluesy et émotionnelle que Pochette surprise (Island, 1981) et Poèmes rock (Island, 1981), quand il s’appelait encore Charlélie Couture, qu’il habitait Nancy et que des photographes l’immortalisaient dans son jardin enneigé au côté d’une vieille voiture. Depuis, l’eau du Madon a coulé sous les ponts. Il partit un jour pour New York, séjourna en Australie où sa sœur avait choisi de s’exiler. Il revient donc avec ce Lafayette enregistré en Louisiane. Treize chansons gorgées de blues, de musique cajun. «Un jour les anges», est une chanson sublime, subtile, inoubliable. «Annie, ma tite amie» et «Chanson en sous-sol» aussi. Et quelle bonne idée qu’avoir repris «House of the Rising Sun» («Maison du Soleil Levant»), chère à Eric Burdon et à Johnny Hallyday. Zachary Richard laisse traîner sa voix et son harmonica suave. Que du bonheur.

PHILIPPE LACOCHE

Lafayette, CharlElie Couture. Fontana-Mercury-Universal.

Les coulisses de Michel Drucker sur les planches

Michel Drucker présentera son one-man-show à l’Auditorium d’Amiens, le 12 février prochain. L’une des toutes premières dates de sa première tournée. Interview.

Vous avez édité de nombreux livres de souvenirs. Pourquoi ce one-man-show aujourd’hui ?

Michel Drucker : Il y a très longtemps que je pense à ça. Je veux absolument savoir ce que ressentent les gens que je présente depuis des années. Les gens qui se produisent seuls sur scène. De nombreux copains me disaient qu’il était dommage que je ne raconte pas sur scène ce que je leur raconte souvent à l’issue d’un bon diner. Et le déclencheur – et je le dirai sur les planches – j’ai été assailli de coups de fil de la presse parisienne pour mes cinquante ans de carrière. Et il y a eu fin 2014, les cinquante ans de l’INA. Ils m’ont souhaité bon anniversaire car ils m’ont rappelé que j’avais l’âge de l’ORTF, créée en 1964. A cette occasion, l’INA s’était associé à Télé Magazine pour un grand sondage et une exposition dans un train itinérant, un TGV qui allait dans une dizaine de gares où il restait une journée ou deux. Le but était de revisiter tout ce qui s’était fait à la télévision. L’INA, France télévision, Télé Magazine se sont donc associés pour célébrer ensemble cinquante ans d’ORTF. Il y avait un wagon au milieu. Ce fut à cette occasion qu’ils me confièrent qu’il existait 5 000 heures d’images me concernant. Ca m’a semblé surréaliste ! Ils avaient mis ma photo sur l’un des wagons. Ca faisait un peu nécrologie toutes ces célébrations. Ils m’ont également fait savoir que j’avais été élu figure emblématique de la télévision avec Léon Zitrone, Jacques Martin et Guy Lux. Le président de France Télévision, de l’époque, Rémy Pflimlin, m’a proposé de faire une grande soirée. Subitement, j’ai eu l’impression qu’on célébrait  mon départ. Il y a avait un côté hommage posthume, ça sentait le sapin. Ca avait un côté César d’honneur, l’acteur qui n’a jamais eu de César et auquel on en octroie un en fin  de carrière… J’ai donc dit au président : « Vous êtes gentil, mais il y a déjà eu un film tiré d’un de mes livres. » A peine étais-je rentré chez moi qu’un journaliste du Parisien-Aujourd’hui en France me dit qu’à l’occasion du Salon des Séniors, le journal sortait un sondage le lendemain ; il m’annonce que je suis le sénior préféré des séniors. J’ai alors ressenti l’impression que ça sentait l’hommage posthume. J’ai dit à ma femme : « Est-ce que tu sais que tu es mariée avec un vieux, car à l’occasion d’un sondage, il apparaît que je suis le sénior auquel les séniors veulent ressembler ? » Je lui dis : « Johnny était l’idole des jeunes ; moi, je serais l’idole des vieux. » Je me suis enfermé tout un week-end et j’ai dit au président de France Télévision : « Non, je ne tiens pas à me regarder le nombril et voir défiler toute ma carrière avec toute une série de gens célèbres que j’ai présentés. » Je me suis dit : il y a mieux à faire ; je vais marquer le coup ; je vais réfléchir. Et puis… je garde chez moi toutes les photos de gens célèbres que j’ai interviewés, je les gardais aussi pour ma mère, et j’ai commencé à m’enfermer dans mon bureau avec ces photos. Et je songeais : « Mais ce n’est pas possible, là, c’est moi en 1964 ?… C’est moi avec bin, c’est moi avec Charles Vanel… avec Michèle Morgan, avec de Funès… C’est moi avec Christine Caron… c’est moi avec Guy Béart… C’est moi avec Anquetil… c’est moi avec Poulidor… » Bref… je me suis dit, j’ai une meilleure idée que ça : « Je vais aller devant le public pour raconter tout ça. » Je vais leur dire : « Pour en avoir le cœur net, on va appuyer sur la touche pause ; on va vider le disque dur. On va voir si on a vécu tout cela ensemble… car mes souvenirs sont les vôtres. Et moi je vais vous raconter ce qu’on a vécu ensemble, mais par l’envers du décor, par la coulisse. »  Le spectacle est né comme ça. Donc pendant une heure et demie  (j’ai du mal à faire tenir tout ça en une heure et demie, donc j’ai choisi les moments importants qui vont rappeler des souvenirs aux gens ; comme un album photos qu’on feuillette ensemble). Derrière moi, seront projetées des photos en noir et blanc qui vont jalonner tout ça… je vais parler de mes années soixante, de mon Zitrone à moi, de mon Couderc à moi, mon Chapatte à moi, mon Hallyday, mon Belmondo… Mon Chirac à moi, mon Mitterrand, mon Giscard… Je survole ainsi cinq décennies avec des photos qui arrivent derrière moi à des moments précis. Et je rends aussi hommage à ceux qui nous manquent, à ceux qui me manquent ; tous ceux que j’ai connus et qui ne sont plus là. Car quand on a autant d’heures de vol, j’ai découvert que mon jardin secret était un cimetière. Il y a un très nombre de personnes qui sont parties, les derniers en date étant Michel Delpech et Michel Galabru. Je vais donc rendre hommage à une quinzaine de gens qui nous manquent. A ma manière ; je dirai un mot à chacun : un mot à Berger, un mot à Poiret, à Serrault, à Balavoine, à Annie Girardot, à Romy Schneider… à tous ces gens-là.

Y aurait-il du son ?

Il y aura quelques extraits mais très peu.

Avez-vous testé ce spectacle dans d’autres villes ?

Non, je n’ai rien testé encore. Une fois, je suis allé à Aix-en-Provence, au salon du livre où là j’ai expliqué pourquoi j’allais faire ce spectacle. Je me suis expliqué pendant une heure ; les gens étaient très attentifs. Je ne suis pas rentré dans le détail car j’avais peur des réseaux sociaux et j’avais peur de retrouver tout mon spectacle sur Internet.

Quand commence votre tournée ?

Elle commence le 29 janvier, à Rennes. Je jouerai mon spectacle dans trente villes.

Rennes, ce n’est pas anodin pour vous.

C’est exact ; c’est là que j’ai passé ma toute petite enfance dans un village, près de Rennes, au côté de ma mère ; nous étions cachés. C’est donc symbolique. Rennes, ce sont les premières années de ma vie. Je jouerai à Rennes les 29 et 30 ; ensuite, j’irai à Tours ; là encore c’est symbolique car c’est à Tours que mon père est arrivé d’Europe centrale dans les années Trente. C’est là que mon frère a fait sa médecine, où il a pris sa retraite ; Tours est aussi une ville qui me tient à cœur. Ensuite, j’irai à Amiens, Lille, La Baule, etc. La tournée se terminera fin avril à Vichy le 30 avril. Ce sont souvent des théâtres à l’italienne qui contiennent 500 à 700 spectateurs. Fin septembre-début octobre, je serai aux Bouffes-Parisiens.

C’est à Rennes que votre mère a été sauvée par le père de Patrick Le Haye.

Ma mère a failli être arrêtée par la Gestapo sur le quai de la gare de Rennes, en 1942. Le père de Patrick Le Haye était un fin lettré ; il comprenait  et parlait l’allemand. Il s’est fait passer pour père ; d’où ma présence à Rennes.

Dans ce spectacle, allez-vous revenir sur vos origines juives ?

Non, pas du tout. Le spectacle évoque ma carrière télé. J’ai beaucoup parlé dans mon livre de mes origines.

Notre région, le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, vous a marqué. Vous avez effectué votre service militaire à Compiègne dans la caserne où votre père avait été interné.

J’ai fait mes classes dans cette caserne, dans l’un des baraquements qui sert de mémorial. C’était là que se trouvait l’infirmerie. C’est une histoire folle, dont j’ai parlé dans mon livre. Je suis allé, il y a quelques années, à l’inauguration du mémorial de la Déportation, à Compiègne. C’est très émouvant. Quand j’ai visité le mémorial de la Shoa à Paris, et le mémorial de Drancy, c’était encore plus incroyable. J’ai visité le camp Drancy ; ce sont maintenant des logements sociaux qui ont la même configuration qu’à l’époque. Rien n’a bougé. Mon père était à Drancy après Compiègne. A l’époque de mes classes, je n’ai pas mesuré ; je n’avais que 18 ans. Ca a fait un choc terrible à mon père. Après, j’ai gambergé, et quand j’ai visité le mémorial plusieurs années après, à mon tour ça m’a fait un choc terrible.

Irez-vous visiter les camps de la mort (Auschwitz) ?

Oui, bien sûr ; je l’explique dans mon dernier livre.

Avez-vous toujours votre maison près de Gournay-en-Bray ?

Oui, toujours, c’est ma fille qui y habite.

L’Institut national de l’audiovisuel (INA) possède, disiez-vous, 5000 heures d’images vous concernant. Si on vous proposait de n’en montrer qu’une, de quelle séquence s’agirait-il ?

Sur scène, il n’y aura que cinq à six minutes d’images, mais beaucoup de photos. Ces images amènent des anecdotes que les gens ne connaissent pas. C’est l’envers du décor. Parmi, ces images, il y a aura

Michel Drucker : enfin sur scène pour raconter ses souvenirs.

et Serge Gainsbourg ; c’est le document de ma carrière ; c’est aussi le document le plus demandé à l’INA. Il repasse en boucle en permanence ; je vais raconter la coulisse de cet événement. Je vais donc parler de mes débuts, de Zitrone, de mes débuts dans le journalisme sportif des années soixante ; je vais parler de Jacques Martin à qui j’ai succédé le dimanche après-midi. Je prendrai aussi quelques extraits de Champs Elysées. Mais l’extrait Houston-Gainsbourg est le plus impressionnant. L’extrait de mes débuts aussi, il y a cinquante et un ans. J’étais encadré par Couderc et par Zitrone. Le document, ils ne l’ont jamais retrouvé à l’INA mais il y a la photo.

Vous avez également rencontré Jimi Hendrix ?

Oui, j’ai fait une émission avec lui ; nous avons partagé la même loge. Il accordait sa guitare ; c’était tout à fait extraordinaire. C’est plus tard que je me suis rendu compte que j’avais rencontré une légende. C’étaient deux planètes différentes dans la même loge. Avec Joe Cocker, c’était également gratiné. C’était le Cocker de la première époque. C’était des gens très particuliers. C’est plus tard que j’ai pris conscience de leur importance…

Et David Bowie, vous l’avez rencontré ?

Oui, plusieurs fois. J’ai également rencontré The Cure.  Je me rends compte maintenant que j’ai vécu une vie très dense ; je m’en rends compte seulement car je ne regarde pas dans le rétroviseur. Et aujourd’hui beaucoup de gens me parlent souvent de ça. C’est pour cela que j’ai décidé de raconter tout ça sur scène.  A mon avis, il y aura d’autres spectacles.  Il y aura un deuxième plus tard, en tout cas car j’ai tellement de choses à raconter sur ce métier. Pour l’instant, j’ai fait un survol des choses fortes avec les politiques, Johnny, Belmondo, Delon… avec ceux qui sous-tendent ma carrière et qui ont eu des carrières longues. Certaines émissions autour de politiques ont été réalisées de façon assez particulière. Je me tourne également en dérision ; je parle de mes rapports avec ma mère et mon père ; de Céline Dion…

Michel Onfray vous apprécie beaucoup. Cela vous surprend-il ?

J’ai été très surpris et ému. VSD a fait trois pages sur moi, et ils ont appelé Michel Onfray. Il a dit que j’étais l’un des hommes de télévision préférés de son père.  Je suis allé dans le village de Michel Onfray ; c’était la première fois que je parlais devant mille personnes. Il m’a dit que je devrais continuer : « Car vous êtes un conteur. » Les gens m’ont écouté pendant une heure et quart. La Normandie nous rassemble. Lui, c’est Argentan ; moi c’est à 60 kilomètres d’Argentan. C’est un personnage passionnant.

Que pensez-vous du jeunisme ? Certains disent que vous pourriez  être poussé vers la porte de sortie. Qu’en est-il ?

Ce n’est pas aussi clair que ça, mais les nouveaux dirigeants de France Télévision, pour employer leur formule, veulent rajeunir les marques. Ca a commencé par Julien Lepers ; j’espère que ça ne va pas trop s’accélérer. J’ai eu une conversation très franche avec eux, il y a peu de temps, je pense qu’ils veulent effectivement rajeunir les marques. Mais toutes les personnes qui ont été écartées dernièrement l’ont été car, selon les dirigeants, leurs émissions étaient sur le déclin. Claire Chazal a été écartée car le journal télévisé avait perdu de l’audience. Je pense que même si les patrons de chaînes veulent rajeunir les marques, ils ne sont pas assez fous pour arrêter les émissions qui marchent. Mais c’est vrai qu’ils veulent rajeunir la structure de France 2 et de France Télévision. Les jeunes ne regardent pas la télévision traditionnelle ; ils sont sur les réseaux sociaux, sur Internet, sur leurs tablettes ; ils ne regardent pas la télévision. Moi, s’ils me connaissent, c’est parce qu’ils passent dire bonjour à leur grand-mère et qu’ils m’aperçoivent dans Vivement Dimanche. Pour répondre totalement à votre question, c’est peut-être un peu présomptueux de ma part, mais je pense que je n’ai pas tout dit. Je ne pense pas que les gens me ressentent comme un vieux de la télévision bizarrement. Même si je suis dans la soixante-quatorzième année et qu’apparemment, je ne les fait pas. Quand je fais des selfies avec des jeunes  de 25 ans ou leurs mamans, à l’aéroport, je n’ai pas l’impression qu’ils me regardent comme un vieux monsieur. Je pense donc que je n’ai pas tout dit ; mon one-man-show va beaucoup surprendre. J’aime parler aux gens ; j’aime aller vers eux. Je pense que j’ai un rapport assez fort, assez proche et affectif  avec ce pays, comme le souligne Michel Onfray, ce à travers deux ou trois générations de téléspectateurs. Je ne suis pas reçu comme quelqu’un faisant partie des élites cultivant le parisianisme ; je suis un provincial comme Michel Onfray. Lors de l’enregistrement de ma dernière émission, 95% des gens dans la salle venaient de province ; 35 villes de petite ou moyenne importance étaient représentées. J’ai un rapport très fort avec la province ; j’ai sillonné la France comme reporter sportif, à RTL, dans les émissions décentralisées, à Europe 1 pendant des années. Moi, j’ai fait de la télévision, mais tout le monde oublie que j’ai fait beaucoup de radio… J’ai fait une dizaine d’année à RTL ; c’est moi qui ai lancé un jeu – qui n’a pas duré longtemps, et qui s’appelait La Valise RTL. J’ai fait deux fois cinq ans à Europe. Je ne suis pas reçu comme quelqu’un d’issu des milieux parisiens. Comme dirait Coluche : des milieux autorisés. C’est pour ça que le public est fidèle à mes émissions. J’ai changé souvent d’émissions qui n’avaient rien à voir : Champs Elysées n’avait rien à voir avec Vivement Dimanche. Ces émissions ont duré assez longtemps ; Vivement Dimanche est en train de battre des records puisqu’on en est dans la dix-huitième année. On va peut-être rejoindre Martin qui en a fait vingt-deux. On me demande le 23 janvier de présenter un show du samedi soir, en hommage à Michel Delpech… j’ai fait les Johnny Hallyday, que j’ai fait la Nuit des héros de la médecine à la Salpêtrière… On m’a appris à être polyvalent. Avec tout ce que je sais faire, je veux croire que je serai encore là pour quelques années. Mais c’est vrai que le vent du jeunisme, je le sens. Mais quand ça s’arrêtera, je n’aurai pas à me plaindre car faire cinquante ans de carrière, c’est inimaginable. Il est même question que Vivement Dimanche soit un peu plus long. On me propose plein de choses. Donc, le jeunisme, je le sens, mais je ne me sens pas visé car ma meilleure garantie, ma meilleure assurance-vie, c’est le public qui suit mes émissions avec une grande fidélité, et c’est pour ça que je vais le voir en province pour l’en remercier.

Propos recueillis par PHILIPPE LACOCHE

 

Jean-Marie, Sabine et Johnny

Littérature et musiques. Beaucoup de plaisir dans ma besace de marquis des Dessous chics.  D’abord, quel bonheur d’aller accueillir Jean-Marie Rouart sur le quai de la gare SNCF d’Amiens, en compagnie d’Anne Martelle. Nous avons traversé le marché de Noël. Petite bruine d’hiver un peu grasse comme des gouttes nasales. Toit de guirlandes de neige. De loin, Anne montre à l’écrivain la cathédrale éclairée. Il nous parle de Ruskin, puis de sa joie de voyager seul, par le train. Il est sympathique, Jean-Marie Rouart. Nous fonçons vers la librairie où un public nombreux l’attend. Il y présente son remarquable livre Ces amis qui enchantent la vie (éd. Robert Laffont). Son ton est passionné. Gourmand ; gourmand de littérature, fasciné par l’écriture et les écrivains. Rien de trop dans ses propos. Qu’il nous parle de Romain Gary, ou du premier livre qu’il a lu, Le Rouge et le Noir, de Stendhal, tout sonne juste. « Je me suis identifié à Stendhal. Même timidité. Et je rêvais à l’amour. » Il dit de son dernier opus qu’il n’est pas rationnel, qu’il n’a rien d’universitaire. « C’est le livre d’un amoureux des livres. Je suis allé vers mes enchantements personnels. » Il reconnaît que le portrait est un art difficile : « Je suis issu d’une famille de peintres. J’ai tenté de faire en sorte que mes portraits ne soient pas académiques. Dire des choses justes mais dans une forme plaisante. » Il parle de Stendhal, encore, et de ses insuccès successifs auprès des dames. Tout le contraire des héros de ses romans : « La réalité est abolie et c’est une vie magique qui apparaît. » Et quel bonheur quand évoque le grand romancier Michel Déon qu’il connaît très bien. « Je l’ai rencontré en 1969, sur l’île de Spetsai, en Grèce. » La scène sur passe sur le port. Un homme l’aborde : « Il paraît que vous me cherchez ? » « Non, j’attends Michel Déon », répond Jean-Marie Rouart. « C’est moi. » Il s’attendait après lecture à voir arriver un demi-Dieu quasi inaccessible ; il se retrouve en face d’un homme modeste, affable, courtois. « Le Michel Déon comme on l’aime », eût pu dire Kléber Haedens comme il le disait à propos de la France. Musique maintenant ; autres plaisirs. Je me suis rendu au superbe Théâtre impérial de Compiègne pour assister au concert de Sabine Devieilhe et de l’ensemble Pygmalion. L’intitulé du concert ? Mozart, une académie pour les sœur Weber. Le fraternel compositeur fut amoureux d’

Jean-Marie Rouart interviewé par Anne Martelle.

Jean-Marie Rouart interviewé par Anne Martelle.

, épousa sa petite sœur, Konstanze ; pour l’aînée, Josepha, il écrivit le rôle de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée. Passions amoureuses de Mozart ; passions musicales. Le tout porté par l’étoile lyrique du chant lyrique français et un talentueux ensemble. Un régal. Enfin, je n’ai pas résisté à ma curiosité naturelle et suis allé au Zénith pour le concert de Johnny Hallyday. En première partie, Manu Lanvin que j’avais interviewé quelque temps plus tôt. Johnny : fabuleux showman ; musiciens exceptionnels et purs moments de bonheur quand ils s’adonnent sur le bord de la scène à un répertoire électro-acoustique constitué des grands standards du rockabilly, du rock’n’roll et du blues (Carl Perkins, Eddie Cochran, Chuck Berry, etc.) Et, surprise, il avait invité Paul Personne à faire le bœuf. Paul et moi, on se connaît depuis 1978. Revue Best. Suis allé le voir dans les loges. Chaleureuses retrouvailles. Emouvant.

Dimanche 20 décembre 2015.

Paul Personne : « J’avais emmagasiné soixante-dix chansons »

Paul Personne est l’un des meilleurs chanteurs de sa génération. Le blues colle à ses cordes de guitare comme la pulpe de mandarine sur les doigts de Jimmy Reed. Le blues, certes, mais pas que. Il n’a pas son pareil pour raconter une histoire en trois ou quatre minutes, sur fond de boogie ou de rock. Il a donné un concert le samedi 21 mars, au Ziquodrome, à Compiègne. Il a répondu à nos questions.

Courrier picard : Parlez-nous de votre dernier album Puzzle 14. Où a-t-il été enregistré ? Avec qui ? Dans quelle ambiance ?

Paul Personne : Il a été enregistré en 2013, à l’issue de la tournée de plus de deux années que j’avais mené à bien avec le groupe A l’Ouest ; au cours de celle-ci,  j’avais joué à l’Olympia ; nous avions fait des dates avec ZZ Top. Après cette tournée assez magique, j’avais l’impression de revenir à l’écurie. Et j’avais, pendant tout ce temps, emmagasiné soixante-dix chansons. Je voulais donc restituer ces presque trois années d’amitié sur scène. Ces chansons-là, je les voulais avec eux. Nous avons commencé à répéter dans leur grange, en Normandie, près d’Alençon, aménagée en salle de répétition. Je voulais mettre à plat quelque chose de bien. Puis, cette salle de répétition s’est transformée en studio. Je n’avais, en fait, aucune maquette de ces chansons ; j’avais juste quelques idées enregistrées sur un magnétophone à cassettes. Je leur proposais et on enregistrait. Résultat : cet album a été réalisé très rapidement avec très peu de prises ; et ça a marché en un clin d’œil. Ensuite, j’ai retravaillé les paroles ; j’ai remis un peu de claviers. On a avancé tranquilles. Les textes également, je les ai faits rapidement ; je ne voulais pas de trucs intellectuels. Juste des propos simples comme la musique.

Parlez-nous de la présente tournée.

C’est effectivement une vraie tournée de trois mois (de janvier à mars 2015). Une tournée très concentrée et je trouve ça vachement bien. Je vais faire de la promotion en Belgique et en Suisse mais l’essentiel des dates sont françaises. Elles se déroulent dans des salles de jauge très diverses : du club de 400 places aux salles de 1200 places. C’est très différent d’une tournée des Zéniths.

Le samedi 21 mars, vous avez donné un concert au Ziquodrome, à Compiègne. Avec quelle formation étiez-vous sur scène et quels morceaux avez-vous présentés ?

J’étais sur scène toujours avec le groupe A l’Ouest. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Avec eux, on se connaît si bien qu’on peut se permettre d’improviser. Nous étions donc dans la formation deux guitaristes, un bassiste et un batteur. J’ai interprété les chansons de Puzzle 14 et je suis allé piocher dans le grenier des souvenirs de mes anciens morceaux. Mais je ne le fais qu’avec les chansons qui m’émoustillent ; je ne me sens

Paul Personne. (Photo : Yann Buisson.)

pas obligé.

Aujourd’hui, en 2015, le blues, ça représente quoi pour vous ?

C’est effectivement une grosse influence pour moi. Mais je ne me suis jamais revendiqué comme bluesman. C’est vrai qu’au début, j’ai eu des expériences musicales très différentes : du boogie, du rock, etc.  (N.D.L.R : il cite Peter Green, Albert King, John Mayall, Crosby, Stills, Nash & Young, James Taylor, les Kinks, Stevie Wonder, etc.) Quand, je me suis rendu compte que certains me qualifiaient de bluesman exclusivement, je me suis dit qu’ils n’avaient compris qui j’étais réellement. En fait, mon album Puzzle 14 est peu blues. Il recèle des mélodies et des chansons. J’aime parler avec la guitare quand la voix arrête de dire des mots. En revanche, je n’aime pas les trucs démonstratifs à la guitare ; jouer vite, ce n’est pas mon truc.

Les paroles de vos chansons, les écrivez-vous systématiquement, ou demandez-vous de temps à autre la collaboration de paroliers extérieurs ?

Pour les derniers disques, je me suis débrouillé seul avec la page blanche. Je ne me suis jamais considéré comme un auteur. Mais dès que j’ai commencé à écrire en français, j’ai trouvé que ça cadrait bien avec mon histoire. Cela ne m’a pas empêché de demander des textes à Jacno, Bergman, Jean-Louis Aubert, Richard Bohringer, Christian Dupont, etc.

La guitare est l’une de vos passions. Sur quelle guitare préférez-vous jouer ? Gibson Lespaul ? Fender Stratocaster ?

Aujourd’hui, on m’appelle souvent l’homme à la Gibson ; avant, j’étais l’homme à la Stratocaster. Ma première guitare était une SG Junior blanche ; puis, je suis venu à la Strato. Mais dès que j’ai pu, je suis revenu à la Gibson. Les guitares ont été de supers copines dans ma vie…

Et sur quels amplificateurs ?

Actuellement, je joue avec une tête Orange et un baffle Vox, mais j’ai joué sur des Marshall, des Fender (Deluxe et Bassman). Et j’ai un fon très anglais.

Depuis La Folle Entreprise, votre carrière professionnelle est longue. Quel est votre meilleur souvenir ? Et le plus mauvais ?

Mettre le matos dans une vieille 403, dormir sur les plages, rencontrer des beatniks, tout ça dans les années soixante… voilà un bon souvenir. Mon premier passage à l’Olympia est également un bon souvenir. Et mon concert avec Johnny Hallyday et Eddy Mitchell, en voici un autre. Un mauvais souvenir ? Quand j’étais môme, je jouais dans un groupe à Carnon-Plage ; nous jouait dans un club. Et j’ai planté les copains musiciens du groupe. On dormait dans une camionnette. J’en avais marre ; ça m’a fait flipper. On faisait trois sets d’une heure ; au troisième set, je me retrouvais aphone. Cela a engendré chez moi des problèmes psychologiques. Je me suis cassé ; je suis remonté à Paris. Je me suis coupé les cheveux ; je disais que je voulais trouver un boulot normal. J’ai donc fait les trois-huit, et j’ai poussé des chariots de pain grillé. Le temps a passé ; j’avais un peu honte. Mes copains sont revenus. Et je suis reparti avec eux. Autre mauvais souvenir : lorsque je me suis cassé deux doigts de la main droite ; je ne pouvais plus jouer de guitare. Je suis allé à l’hôpital des mains. J’ai dû faire de la rééducation…

Vivez-vous toujours dans le Perche ?

Oui, toujours dans ma fermette du Perche. C’est une vie de solitude que je domestique. Avant j’étais dans la région de Toulouse ; j’ai aimé ces années toulousaines. A cette époque, il se passait quelque chose dans le rock en France. Tu en chiais mais il y avait de l’énergie. J’aime d’autres coins de France : le Périgord, le Quercy. J’aime les endroits sauvages.

« J’me taille » est une très belle chanson. De qui sont les paroles ?

J’ai longtemps gardé cette chanson dans mes tiroirs ; j’ai un problème dès que je sens un hit potentiel dans une chanson ; c’était son cas. J’ai peur de tomber dans le commercial. Et puis, je me suis débloqué avec ce morceau ; j’ai donc appelé un pote, Cyril Malinovski, dit Nérac, un journaliste qui est aussi parolier ; une plume ! Il a adoré le côté Springsteen, Dylan. Il a fait une première mouture de texte ; je lui ai demandé de la retravailler. Ce qu’il a fait. Et ça marché…

                                                    Propos recueillis par

                                                    PHILIPPE LACOCHE

Le Chet Baker du rock’n’roll

Fabrice Gaignault, journaliste, responsable du service culture et célébrités à Marie-Claire, écrivain, auteur de ce très beau livre sur Vince Taylor.

Fabrice Gaignault, journaliste, responsable du service culture et célébrités à Marie-Claire, écrivain, auteur de ce très beau livre sur Vince Taylor.

                                                         Fabrice Gaignault propose une plongée dans l’univers de Vince Taylor, rocker mythique, entre folie et démesure. Une sorte d’Artaud en perfecto.

    Ceux qui ont eu la chance d’interviewer Vince Taylor ne pourront jamais l’oublier. Surtout à la fin de sa carrière. A la fin de sa vie. Ce regard fixe. Ailleurs. Cette manière d’aura à la fois envoûtante et inquiétante. Ses silences. Une personnalité  ? C’est peu dire.  Il inspira à David Bowie le personnage de Ziggy Stardust.  Vince Taylor – Brian Maurice Holden de son vrai nom – né en 1939, en Angleterre, et mort en Suisse en 1991, n’eut pas une vie, mais des vies. Ce sont celles-ci que nous conte Fabrice Gaignault dans son très beau livre Vies et mort de Vince Taylor.

    De ses débuts, en 1960, alors qu’il se fait passer pour américain, ses concerts provoquent des émeutes. Les filles deviennent hystériques. Vince entend concurrencer Johnny Hallyday. Vince lui-même ou son entourage ? Avec son blouson de cuir noir, ses excès, sa gestuelle, sa présence scénique est indéniable. Inqualifiable aussi. La presse de déchaîne. Le succès est à portée de main. Il tourne un peu partout en France. Même en Picardie, à Péronne et à Saint-Quentin.  Il côtoie les « grands de ce monde » ; on le retrouve à la table de Claude et de Georges Pompidou. Il est aux côtés de Brigitte Bardot, de Sophie Daumier, de Dalida.  C’est l’époque des nuits blanches, des clubs. La folie du rock’n’roll. Beaucoup d’alcool, beaucoup de dope. Déjà. Cela commence à lui jouer des tours. On lui prête une réputation sulfureuse. La gloire tant espérée, s’éloigne progressivement. Il se réfugie dans la folie, la drogue. Victime d’hallucinations mystiques, il se prend pour la réincarnation de saint Mathieu après pris, dit-on, un acide avec Bob Dylan.

     Comme l’explique parfaitement Fabrice Gaignault, Vince Taylor tentera de nombreux come-backs. Ils auront, parfois, la couleur de la lumière ; trop souvent, ils seront pathétiques et calamiteux. « Une vingtaine d’années plus tard, lorsque j’ai visionné quelques vidéos de ses dernières années, j’ai eu un choc ! » explique le guitariste Ralph Danks. « Il ressemblait tellement au Chet Baker de la fin… Vince était le Chet Baker du rock’n’roll. »

    Chet Baker ? Il y a de ça ; c’est exact. Même regard intense ; même folie. Même façon de griller la vie. Page 174, Vince est comparé à Artaud. C’est également très juste. Il y a quelque chose de littéraire dans son aura. On sait, par exemple, par exemple, que Patrick Modiano vint l’applaudir à plusieurs reprises au Golf Drouot. Et n’est pas impossible que le rocker apparût sous un nom d’emprunt dans l’un des romans du nouveau prix Nobel de littérature.

     Vers la fin du livre, Fabrice Gaignault peint avec justesse la période Jacky Chalard-Patrick Verbeke (du label Big Beat - quand, ces derniers, tentèrent de remettre Vince sur scène) et celle du si créatif Jac Berrocal. Ce livre est réussi : c’est une véritable plongée dans l’univers de ce personnage mythique du rock’n’roll.

                                            Philippe Lacoche

Vies et mort de Vince Taylor, Fabrice Gaignault, Fayard, 226 p. ;  18 €.

Michel Pruvot a fait danser plus de 7 millions de personnes

       

Michel Pruvot : le musette, c'est un peu notre blues picard.  Un personnage populaire, généreux et incontournable.

Michel Pruvot : le musette, c’est un peu notre blues picard. Un personnage populaire, généreux et incontournable.

    Il vient de sortir un nouveau CD « Ca balance au bal musette », avec une chanson en picard signée par notre confrère Jean-Marc Chevauché. Rencontre avec le célèbre accordéoniste.

   Combien de disques avez-vous enregistrés? Et savez-vous combien de concerts et galas avez-vous déjà réalisés?
Cela peut paraître incroyable et impressionnant, mais à ce jour j’ai enregistré (entre mes propres CD, DVD, CD ET DVD de compilation) sept 45 tours, 21 33 tours,  135 CD , 15 vidéos  et 12 DVD. Cela fait environ 1000  nouvelles compositions regroupées parmi tous ces enregistrements. J’ai animé plus 8 000 galas (entre les soirées, les thés dansants, les concerts, festivals et autres…) et fait danser plus de 7 millions de personnes sur mes musiques  qui ont permis  des rencontres, des mariages, et   des séparations… Dans mon livre, justement j’avais recensé et calculé tout cela : j’ai également parcouru 6 millions de km pour ces galas, usé 25 voitures, un bus, neuf camions et 25 accordéons, dont j’ai fait vibrer les lames sur les scènes de France et de Navarre !
 Dans quelles conditions ce nouvel album a-t-il été enregistré (où? quand? avec quels musiciens? etc.)
 Ce nouvel album a été enregistré en mai 2014 en Belgique , à Bruxelles au studio CDS avec lequel travaille depuis plus de 25 ans. Les programmations de ces nouvelles musiques ont été réalisées par plusieurs musiciens dans plusieurs studios de France et j’ai, quant à moi, fait mes prises de son, mixage, enregistré le chant et les choeurs et le  mastering  à Bruxelles.

Quelle couleur, quelle ambiance avez-vous voulu donner à ce disque?

Ce CD est festif, correspondant à mon image d’accordéoniste et de chanteur populaire, que je suis fier de représenter du reste ! J’y ai mis de nouveaux rythmes que nos clients aiment à danser dans les thés dansants. Nous appelons cela les danses en ligne, ce sont des rythmes  un peu latino tels le Kuduro, le reggae, le madison sans oublier bien entendu les classiques des danses de salon le paso, la valse, le tango.

La majorité des musiques ont été écrites par vos soins. Qui sont vos paroliers?
 Je croise beaucoup de gens dans mes galas qui me proposent de m’écrire des textes… Je suis ouvert à tout mais depuis 30 ans je travaille malgré tout en étroite collaboration avec quelques paroliers comme Marc Provance, Fred Zeitoun, Gérard  Tempesti, Michel Jourdan … mais aussi de grands paroliers, hélas disparus aujourd’hui comme Pierre Delanoé, Jacques Demarny, Pascal Sevran. Et aujourd’hui dans ce nouveau CD des nouvelles compositions en collaboration avec Dominique et Martial Lahaze  et Jean Marc Chevauché. 
Sont-ce eux qui vous apportent d’abord les textes à partir desquels vous composez les musiques, ou l’inverse?
En général, je donne pour les textes des idées de titres avec un thème bien précis qui me représente aussi.  Par exemple pour « Vive la caravane du Tour », je voulais faire un titre sur l’ambiance de la caravane, que j’ai connu pour l’avoir fait deux années de suite… Je donne des idées, les grandes lignes et l’équipe se met au travail pour me proposer des textes que l’on arrange et adapte ensuite. Je collabore aussi beaucoup pour la musique avec d’autres accordéonistes Alain Musichini, Christian Peschel , Les Frères Lahaze et bien d’autres … La liste est longue. Il arrive également que l’on me propose une mélodie qui me plaît et que j’enregistre directement …. 
 Les paroles de « Chtiot Picard » ont été écrites par notre confrère Jean-Marc Chevauché, du Courrier picard. Comment s’est faite votre rencontre?
La chanson « Chtiot Picard » a été écrite en effet par Jean-Marc Chevauché. C’est une chanson à mon image, puisque je suis un vrai picard, né à Rue (pas dans la Rue comme Johnny Hallyday)… Je connais Jean-Marc depuis quelques années maintenant, du temps où il était au Courrier Picard à Abbeville. Un jour lors d’une conversation nous avons abordé cette idée de faire une chanson en picard …

Est-ce lui qui vous a proposé le texte ou est-ce vous qui le lui avez réclamé?
 Nous nous sommes revus un samedi matin sur le marché d’Abbeville et il m’a dit :« J’ai fait le texte ! ». Il m’a remis son texte et j’ai fait la musique ; et voilà c’est devenu Chtiot Picard. »
En ces époques où la Picardie est malmenée et remise en cause, cette chanson ne serait-elle pas une sorte d’hymne à notre région?
 Un hymne n’exagérons rien, c’est une chanson patoisante en picard que nous avons eu vraiment plaisir à faire ensemble ; « Chtiot Picard », c’est de la bonne humeur, une musique gaie  que j’espère nos compatriotes apprécieront Nous aimons notre Picardie et nous sommes fiers d’être picards …
Dans « L’Intello du vélo », vous rendez un hommage à Laurent Fignon. Que représentait-il pour vous?
Ah ! Laurent Fignon… Il était certainement le coureur le plus intelligent et « le plus malin » de sa décennie; Il faisait partie de ces coureurs qui avant d’être connus , avaient fait des études et avaient des bagages « intello »…  Etant moi-même ancien coureur cycliste, j’aimais sa façon de rouler, d’où l’idée de lui rendre hommage avec cette chanson intitulée « L’intello du vélo » avec des paroles vraiment proches de son personnage.

Quels sont vos projets ?

Je vais sortir un CD en duo qui sera en vente le 17 novembre prochain (distribution Sony Music). Rien à voir avec l’accordéon. Ce sera un album de chansons sur de la musique schlager enregistré en duo  Michel et Jean. Il y aura une grosse pub TV sur France Télévision à partir du 15 novembre, et auprès de toutes les radios locales de France. Jean étant Jean Reveillon ( ex-directeur de France Télévision, en retraite depuis avril). En fait nous avons réalisé un projet qui nous tenait vraiment à coeur et que nous avions fait quand nous étions tous deux coureurs cyclistes amateurs… Il y a 50 ans ! Ce CD  sera donc dans les bacs le 17 novembre, mais nous l’aurons déjà pour notre première représentation en public sur le scène du théâtre municipal d’Abbeville le dimanche 26 octobre, prochain à 14h30. Il s’agira du spectacle annuel de l’Accordéon et de la Chanson  avec la participation de Linda de Suza  et, pour l’accordéon, Louis Corchia, Chantal Soulu, Jean-Paul Cressandon, le tout en partenariat avec le Courrier Picard. Sinon je suis toujours sur WEO (canal 20 ou 30 de la TNT région Nord-Pas-de-Calais ou sur www.weo.fr ), tous les jours à 14h30 pour mon émission « Sur un air d’Accordéon ».

                              Propos recueillis par PHILIPPE LACOCHE

 

Dieudonné : « Je suis un islamo-chrétien »

Dans le long entretien qu’il nous a accordé, Dieudonné s’explique. Il évoque son art, le rire, l’anti-sionisme, l’antisémitisme, Jean-Marie Le Pen, la littérature et les religions. Il parle en toute liberté.

De quoi est composé votre spectacle Foxtrot?

Dieudonné : C’est un spectacle que j’ai commencé à tourner en juin 2012, et que je terminerai en juin 2013, un an plus tard. Je suis en tournée depuis le mois de février. C’est un spectacle qui traite de la danse, le foxtrot, mais aussi la danse de façon plus générale. La danse des mots, la danse des idées. Autour de la danse, je m’interroge sur les sociétés, sur le monde dans lequel je vis.

Pourquoi cette danse, le foxtrot?

Je suis amateur de jazz. Je cherchais une danse; celle qui illustrait le rêve américain, c’était le foxtrot. Je me suis inspiré de cette musique et de cette danse pour illustrer ce rêve américain qui, pour beaucoup, fut un cauchemar, encore aujourd’hui. Je pense aux Indiens d’Amérique, aux Noirs d’Afrique, déportés, aux Japonais (Hiroshima et Nagasaki ). Le rêve américain, ce n’était pas forcément quelque chose de très positif. De plus, le nom Foxtrot sonnait bien. A une certaine époque, cette danse illustrait beaucoup de choses.

Quand et comment avez-vous écrit ce spectacle ?

Comme tous les autres spectacles… C’est vrai que je travaille beaucoup; je fais un spectacle par an. Par rapport aux autres humoristes de ma génération qui – c’est vrai font souvent du cinéma – réalisent spectacle tous les quatre ans. J’accorde beaucoup plus de temps au one-man-show… Mon prochain spectacle est en écriture. Il s’appellera Le Mur (le titre n’est pas définitif).

Serait-ce une référence à l’excellent recueil de nouvelles de Jean-Paul Sartre?

(Rires.) C’est vrai… on m’en a déjà parlé. Mais non… Pink Floyd a également fait un album de ce nom. Autour de cette réalité de mur, on peut faire passer pas mal de choses. Pour revenir à Foxtrot, je m’inspire pendant l’année de ce qui a pu me toucher. Mon rôle en tant qu’humoriste, de bouffon à la cour, c’est de mettre le doigt sur les abcès de cette société. Parfois c’est un peu douloureux, mais je crois que c’est toujours salutaire, de rire des choses les plus difficiles, les plus délicates car en riant, on retrouve la communion; c’est l’inverse des guerre. Un humoriste a son rôle à jouer dans une société qui est en crise.

Revendiquez-vous ce rôle de bouffon du roi?

Le bouffon à la cour du roi était censé, par sa liberté de parole, aborder des sujets que d’autres se refusaient d’aborder. Le roi le laissait faire jusqu’à une certaine limite; après, il lui coupait la tête. Aujourd’hui, on coupe le micro. En la matière, j’ai été exposé. Oui, je revendique ce rôle de bouffon parce que c’est un métier difficile, passionnant; la scène est un espace d’expression unique en son genre.

Est-il exact qu’avec Foxtrot, vous recentriez votre expression autour de l’humour pur, en laissant de côté la provocation pure?

Oui… peut-être… Il y avait le spectacle Mahmoud qui a pu apparaître plus provocant. Moi, je ne le ressens pas comme ça. En tout cas, le sujet de la danse est plus accessible ou plus acceptable pour certaines élites qui contrôlent la pensée dans notre pays. Je parlais, bien sûr, de Mahmoud Ahmadinejad qui, de par son action, sa politique, sa personnalité, est plus dérangeant que le foxtrot. Un moment, je parle des extra-terrestres, de l’Afrique, de la danse; c’est certain, il s’agit d’un spectacle qui pose moins de problèmes.

Le 17 mai prochain, vous vous produirez au Zénith d’Amiens. Vous avez déjà joué dans cette ville. Comment cela s’était-il passé? Vous la connaissez un peu?

On avait joué dans une salle; des gens issus des quartiers nous avaient invités. C’était très agréable car il s’agissait de visiter la ville avec des gens qui sont concernés. On en apprend beaucoup plus que lorsqu’on vient comme ça, en touriste. Cette année, c’est par un autre intermédiaire puisque c’est une société de production qui nous a demandé de venir. J’avais visité la ville. La prestation était formidable. Il y avait eu des émeutes peu de temps avant à Amiens Nord; on avait rencontré le gens. Il y avait un retentissement national. Je me souviens qu’Amiens était sous les feux des projecteurs des médias. On avait mangé dans les quartiers dans un petit restaurant.

Par le passé, vos prestations ont suscité des polémiques, des réactions, des problèmes, voire des interdictions. A Amiens, à l’époque, ça s’était bien passé? Et cette fois-ci, il n’y a pas eu de problèmes pour que vous puissiez vous produire au Zénith?

En fait, les problèmes avaient commencé à la suite d’un sketch que j’avais fait dans une émission de Marc-Olivier Fogiel, en direct sur France 3. C’était une des seules émissions en direct; mon sketch critiquait un peu la politique israélienne. Ca avait provoqué une certaine polémique; tout est parti à ce moment-là. Les politiques s’en sont mêlés; interventions jusqu’au président de la République qui s’est senti obligé de commenter ce sketch. De Sarkozy à Hollande qui demandait aux gens de ne pas aller voir mon spectacle. Derrière, l’occasion pour tout un tas de gens qui font de la politique localement qui se sont sentis obligés d’apporter leurs soutiens… Je suis devenu un instrument pour plaire à certains lobbies qui peuvent avoir de l’influence. Il y a eut un tournant charnière : le procès de la ville de La Rochelle. Il y eut aussi la décision du Conseil d’Etat. Jusqu’à ce qu’une ville soit condamnée à me verser 40 000 euros. A partir de cet instant, il y a avait jurisprudence et tout s’est calmé. Les villes qui voulaient interdire mes spectacles prenaient le risque de se faire condamner.

Comment expliquez-vous toutes ces polémiques autour de vos spectacles?

En d’autres temps, d’autres artistes (peut-être pas à mon niveau car je dois avouer que je suis fier d’avoir porté mon humour à ce degré d’infréquentabilité) comme Coluche, Desproges, avaient déplu. Si l’on remonte dans l’histoire du théâtre, il y avait aussi Molière qui avait été chassé de la cour. J’ai la sensation d’être dans la tradition de l’histoire de l’humour.

Ce côté infréquentable ne vous dérange pas?

Je suis infréquentable par rapport à certains milieux. Ca fait maintenant plus de 25 ans que je fais ce métier et plus de dix ans que je suis rentré dans cette catégorie des infréquentables. Je suis infréquentable par rapport à des gens qui avaient du pouvoir, qui n’en ont plus. D’autres sont en prison. Aujourd’hui, les choses évoluent très vite : ceux qui me montrent du doigt, deviennent, eux aussi, très vite infréquentables, sont condamnés. Moi, je reste concentré sur ce que je sais faire : faire rire les gens. Et je pense que dans ma catégorie et dans mon style… Il y a des jeunes qui arrivent et qui commencent à déranger plus que les autres. Tant mieux. Surtout en temps de crise, c’est une soupape indispensable que de pouvoir rire. Quand les gens rient, ou sourient, ils ont moins envie de rentrer dans des conflits plus violents. Je pense que le rire contribue à apaiser les choses.

Certains vous reprochent d’être antisémite; vous répondez que vous êtes anti-sioniste. Vous venez de l’ultra-gauche. Pourriez-vous expliquer le cheminement de votre pensée?

J’ai commencé sur le chemin de l’antiracisme, anti-Front national, notamment à Dreux. Ensuite, je me suis rendu compte de l’instrumentalisation de l’antiracisme à des fins politique était quelque chose d’étrange. Je pense que j’ai été un peu manipulé. Se battre contre le racisme, c’est ouvrir le dialogue et de discuter avec ceux qui font peur. Aujourd’hui, j’ai rencontré les gens qui étaient montré du doigt et considérés comme des racistes. Il y en a, c’est vrai. D’autres sont des protectionnistes; ils pensent que la société française ne doit pas évoluer vers le métissage. D’autres sont nationalistes. En ce qui concerne ma génération, les racistes venaient plutôt de l’extrême droite. En réalité, le racisme, c’est beaucoup plus compliqué que ça. J’ai rencontré Jean-Marie Le Pen; il n’est pas plus raciste que les gens qui sont au gouvernement. Je dirais même qu’il l’est un peu moins car autour de lui règne plutôt l’esprit de la nationalité française. Je n’ai jamais partagé le courant de pensé du Front national. En revanche, la diabolisation de Jean-Marie Le Pen a servi d’instrumentalisation… Il n’était pas plus raciste que Jacques Chirac qui a mené une politique en Afrique digne de la politique des pires années. Sarkozy, c’était encore pire. Le racisme, on ne peut pas mieux l’illustrer que le discours de Sarkozy à Dakar. L’argent… Comme l’Afrique est un continent qui regorge de matières premières (c’est un continent extrêmement riche potentiellement)… pour moi, il n’y a pas plus racistes que les gens de l’UMP et du PS. Aujourd’hui, je suis plutôt étiqueté comme venant de l’extrême gauche.

De l’ultra-gauche plutôt.

Oui, de l’ultra-gauche. Je préfère les extrêmes car ils n’ont jamais été au pouvoir. Les gens qui crient, qui beuglent, feront certainement la même chose le jour où ils seront au pouvoir. Au moins, ils ont cette qualité, c’est de ne pas être dans les réseaux de pouvoirs. L’UMP et le PS, non… je préfère tout sauf ces partis-là.

C’est la pensée unique qui vous dérange?

Oui, et je pense que l’exercice de la démocratie ce serait qu’il y ait une vraie discussion à l’Assemblée nationale et que cette assemblée soit composée de gens d’extrême gauche et de gens d’extrême droite. Au moins, on aurait un vrai débat; on aurait des acquits, et on aurait une vraie discussion autour de cela. Quelle majorité? J’ai plutôt une sensibilité de gauche, mais qu’est-ce que ça veut dire la gauche? La gauche n’a rien à voir avec le Parti socialiste qui est un parti du centre comme l’UMP; en fait, c’est un parti de pouvoir. Ce sont des réseaux. On le voit avec ce qu’il vient de se passer avec l’affaire Cahuzac; on voit toute l’hypocrisie du système. Je ne veux pas crier avec la meute contre Monsieur Cahuzac qui n’est que le fusible d’un système. La question, ce n’est pas savoir qui a un compte en Suisse; la question c’est de savoir qui n’en a pas. C’est ça la réalité des choses. 90% des Français qui seraient dans leur situation auraient un compte en Suisse. C’est une hypocrisie de dire le contraire. Personnellement, c’est peut-être le fait de ne pas en avoir qui me rend assez léger sur la question. Je ne vois pas en quoi c’est devenu le tournant politique. Je crois qu’il y a vraiment une volonté politique avec cette crise de créer en chaos en France. Le chaos va servir à créer une situation irréversible qui va entraîner le pays dans une récession (une guerre, je ne sais pas…), et la croissance reviendra avec la reconstruction de cette société, de ce système sur des bases nouvelles avec cette même bipolarité, peut-être pas droite-gauche… Je pense que ce système ne peut retrouver la croissance qu’en passant par une remise à zéro de tout. La guerre a toujours été le seul moyen… Je ne la souhaite pas évidemment, mais je constate que tout est fait pour que la France connaisse un déchirement total entre chrétiens et musulmans, et ça c’est dramatique. Je suis persuadé qu’il s’agit bien de la même religion au départ et que chacun à son interprétation des choses et qu’il y a une volonté de division. Ils ont envie de montrer que l’islam est une religion archaïque, d’un autre temps, ce qui est complètement absurde. L’islam est une religion qui rassemble de plus en plus de monde sur terre et l’histoire de la chrétienté, c’est de s’inscrire dans cette continuité. Moi, j’ai grandi dans la lumière de Jésus (c’est comme ça qu’on appelait ça chez moi…).

Vous êtes croyant?

Oui… Au départ, je suis passé par tous les états de cette croyance. On m’a montré du doigt la religion dans laquelle j’étais né comme archaïque.

Dans quelle religion avez-vous été élevé?

La chrétienté. On me disait que ce n’était pas bien. Dans le milieu artistique, c’était quelque chose de très négatif. Et puis j’ai fait un spectacle Rendez-nous Jésus; je me suis rendu compte que la laïcité était une nouvelle religion. On parle de morale laïque, de valeurs laïques. Je m’interroge là-dessus. Et la vie passant, on est amené à s’interroger; il y a de grands moments, de grands tournants dans l’existence. Des décès, la mort de mon père; il a fallu l’enterrer au niveau religieux. Benoît XVI m’a redonné un peu confiance dans la religion catholique, par sa démission. Je pensais que c’était bien pour tous les Chrétiens de rendre Jésus vivant. Je pense que je suis croyant, mais selon moi, tout le monde est croyant. Même l’athée est croyant; il croit en quelque chose. C’est dommage de laisser Jésus aux marchands du temps. Je trouve ça ridicule.

Certains vous reprochent d’être antisémite; vous répondez que vous êtes anti-sioniste. Etes-vous antisémite?

Non. La meilleure réponse que je puisse fournir est que je n’ai pas le temps. Car c’est un travail à temps complet. Je n’ai pas du tout le temps pour ce genre de facétie.

Vous avez fait venir Faurisson sur scène. Pourquoi?

Je ne connaissais pas très bien Faurisson. Et tous ces sujets sur le révisionnisme m’étaient très étrangers.

Mais vous le connaissiez?

Pas du tout. J’ai appris que c’était la personne la plus infréquentable. On m’a dit que si j’invitais Faurisson sur scène, j’étais mort, j’étais grillé. C’est ça qui m’a plu chez lui. Et, après avoir appris sa contestation des chambres à gaz, j’ai appris qu’il contestait le fait que Gorée était l’endroit d’où était parti l’esclavage. Or, je m’apprêtais à faire mon voyage à Gorée comme tous les afro-descendants… Et j’ai trouvé intéressant sa façon de voir les choses : imaginer que des gens noirs du monde entier viennent se recueillir à un endroit qui, finalement, n’était pas cet endroit-là. D’ailleurs, il m’a convaincu en partie qu’il était plus pratique de réaliser cette opération de déportation de la côte. Je me suis renseigné un peu, et j’ai vu qu’au Bénin, notamment, il y avait un port où beaucoup de choses se sont réalisées aussi. Peut-être que des gens ont été déportés de Gorée, c’est fort possible. Mais cette cathédrale de la souffrance noire qui est érigée à Gorée n’est peut-être pas le seule endroit. En tout cas, ça a ouvert une porte. Je l’avais rencontré par rapport à ça. Et très vite, je me suis aperçu que son travail portait également sur la dernière mondiale, notamment sur les camps de concentration, qui lui avait attiré tous ces problèmes. Son histoire de Gorée tout le monde s’en fout car la plupart des élites, notamment ceux qui réalisent les manuels scolaires, n’en ont rien à faire de cette période-là. Selon lui, la souffrance de la dernière guerre mondiale, c’est comme s’il n’y avait jamais eu de souffrance avant et qu’il n’y en aura jamais après… Et j’ai su ça au même moment que je l’ai invité sur scène pour lui remettre le prix de l’Infréquentabilité. Après on a discuté; il m’a fait part de sa vision, notamment par rapport aux chambres à gaz. Je ne serai pas la bonne personne pour en parler car c’est un sujet que je ne maîtrise absolument pas. Je suis très perplexe de cette loi Gayssot qui interdit à tout citoyen français à contester la réalité des chambres à gaz. Par contre, vous pouvez tout à fait contester d’autres génocides; par exemple dire qu’il n’y a pas eu Gorée, ou dire que les esclaves ce sont des Noirs qui se sont vendus eux-mêmes. Vous pouvez tout dire; et vous n’aurez pas de problème avec la justice. Faurisson m’a appris ça; moi, c’était son infréquentabilité qui m’avait séduit. Aujourd’hui, c’est devenu quelqu’un que j’apprécie beaucoup; je pense que c’est quelqu’un qui a recul sur lui-même, qui arrive à rire. C’est tout ce qui m’intéresse. Après, toutes ses théories qu’il développe, il faudrait qu’il puisse en parler librement. Je ne trouve pas normal que Faurisson ne puisse pas s’exprimer.

Vous êtes allé à Auschwitz. Vous avez pu constater que les chambres à gaz avaient bien existé.

Oui, je suis allé à Auschwitz. J’ai constaté que c’était un camp de concentration, une prison à ciel ouvert avec de grands barbelées, des baraquements en bois.

Dans l’un des clips (qui concerne Timsit), vous avez mis des images de corps poussés par des bulldozers.

C’est-à-dire que moi j’y suis allé… je peux dire que… après c’est toujours le poids des mots. C’était la guerre. C’est sûr que ce qui s’est passé là était particulièrement insupportable mais ce n’était pas unique.

Il y avait tout même une industrialisation de la mort inégalée.

Ca, c’est l’argument. On prétend que c’était la première fois qu’il y avait une méthode systématique, organisée, industrielle. Non, ce n’était pas la première fois. Il y avait eu les Indiens, les Noirs d’Afrique, les aborigènes, et puis en Amérique, il y a eu des massacres. Je dirais que Faurisson s’est concentré sur les chambres à gaz. Quand on dit qu’il est négationniste, je ne pense pas qu’il nie l’existence de ces camps. Je ne peux pas nier que ça a existé. Lui ce qu’il nie c’est l’existence des chambres à gaz. Moi, j’y suis allé, et j’ai visité une chambre à gaz. Il y a en une, mais elle a été reconstruite soit disant à l’identique; Faurisson prétend que…

Mais il y a tous les journalistes qui sont arrivés sur place dans les camps à la fin de la guerre…

Vous y êtes allé?

Non.

C’est dommage…

Mais il y a eu des témoignages, des images. Je ne porte pas Faurisson dans mon coeur.

Vous ne le connaissez pas; c’est dommage. Personne ne connaît réellement Faurisson; c’est dommage. Ce qui me plaît chez lui c’est qu’à 84 ans, il a une vivacité d’esprit et de l’humour sur lui-même que j’ai rarement vu. Tout le monde se dit que c’est un nazi. Il a été dans la France antinazie. Il était contre les Allemands. De plus il est d’origine écossaise. Il avait eu des ennuis car il avait écrit « Mort à Laval! ». Or, en tant que journaliste, si vous décidiez de faire un entretien avec Faurisson pour voir ce qu’il pense, vous ne pourriez pas car il y a une loi.

C’est vrai que c’est dommage. Comme il serait dommage de ne pas pouvoir lire Céline, magnifique écrivain de Voyage au bout de la Nuit, mais aussi, par ailleurs, auteur de pamphlets antisémites insupportables.

C’est exact. Céline a écrit des choses sur les Noirs que je ne supporte pas. Il n’empêche que c’est un grand écrivain. Mais la politique de de Gaulle en Afrique est une politique raciste. On a promis aux Africains qui sont venus se battre pour la France tout un tas de choses qui, finalement, ils n’ont pas eues. Les bataillons africains étaient ceux qui étaient en première ligne. On ne leur a rien donné. De Gaulle est venu au Cameroun pendant la guerre comme un clochard. Il est remonté; il a organisé toute la révolte. Et les Africains n’ont jamais rien eu. L’indépendance, c’était une indépendance de façade qui était plus profitable que de donner la nationalité française à tous ces Africains… C’est dommage. C’est pour ça, pour moi qui suis Français d’origine africaine, le racisme ne me dérange pas. Je sais qu’il y a des gens qui ont peur des Noirs car ils ne les connaissent pas et que la vie les a mis à l’écart de cette réalité. En face de Noirs, d’Arabe, de Chinois… ils sont choqués. Une fois qu’ils parviennent à parler ensemble, ils parviennent à s’entendre. Le racisme est quelque chose qui n’est pas grave en soi. C’est l’Histoire… On a déporté des Africains à la place des Indiens car on ne le connaissait pas; on les considérait comme des animaux. Il a fallu des siècles pour comprendre… Tout ça traité par l’humour, c’est vraiment passionnant.

Et votre chanson « Chaud ananas » ?

C’est une parodie effectivement. Cette chanson est née… C’était la première fois qu’un artiste était inquiété pour un sketch que j’avais fait chez Marc-Olivier Fogiel. C’était la première fois depuis Molière qu’un artiste était condamné pour quelque chose qu’il avait réalisé sur scène. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse un acte de réparation. Comme j’avais été accusé d’incitation à la haine, je me suis dit : « Je vais faire une petite chanson légère. » Je vais reprendre l’ananas, un fruit exotique cultivé au Cameroun. J’en ai fait une chanson. Il n’y a absolument rien dans cette chanson… J’ai été condamné. Pourtant c’était « Chaud ananas ». Après, celui qui veut m’attaquer l’orthographie comme il le veut. Pour moi, c’était la seule réponse qu’un humoriste puisse donner à l’autorité morale de ce pays qui, tout d’un coup, vous explique qu’on ne peut pas rire de « Chaud ananas ». Alors, comment se fait-il qu’Annie Cordy faisait « Chaud chocolat »? Elle était habillée en négresse avec de grosses babines, dans une tasse à café. Ca, ça ne choquait pas… Comment se fait-il que Michel Leeb se grattait sous les aisselles et disait : « Ce sont mes narines, c’est pas mes lunettes. » Où commence et où se termine la liberté d’expression?

Pensez-vous que la personne qui, il y a quelque temps, voulait faire interdire Tintin au Congo - car les Noirs y étaient moqués – avait raison?

Non; je suis pour la liberté d’expression, le problème c’est qu’il faut interdire Tintin au Congo car on interdit. Il faut, dans ce cas, tout interdire. Il faut interdire tout le monde… tous ces gens qui attisent la haine. La haine est une notion subjective; on peut ressentir de la haine en écoutant Jean-Jacques Goldman. Ou Johnny Hallyday. Ce n’est pas moi qui le dit, mais certaines personnes disent : « Johnny, il est con. Ah que! Ah que!… » Moi, je m’en fous; je ne le connais pas. A partir du moment où on interdit « Chaud ananas », il faut interdire Johnny Hallyday. C’est la moindre des choses.

Expliquez-moi le concept de la quenelle.

C’est né dans un spectacle… C’est devenu une sorte de mode; tout le monde se jette dans l’exercice de la quenelle. La quenelle, il y a plusieurs définitions : on en a jusque là. (N.D.L.R. : Dieudonné fait un geste assez évocateur avec son bras.)

Serait-ce phallique?

Oui, un peu. Ca peut vouloir dire : « Je vais te glisser une quenelle dans le fion. Dans le fion du système. » Là, c’est glisser la quenelle. Et puis, il y a aujourd’hui toute une compétition de maîtres quenelliers. Certains joueurs de foot qui ont marqué un but, font la quenelle. Maintenant, la quenelle avec ce geste-là, ne m’appartient plus.

Et ça vient de où cette idée de quenelle?

C’est chez moi; je me suis dit : « Tiens, on va leur glisser une petite quenelle. » Pourtant, ma femme est du Sud-Ouest, et on ne mange pas vraiment de quenelles. C’est une expression que j’ai trouvée… La quenelle, ce n’est pas très agressif. C’est mou; ce n’est pas méchant. Ca ne peut pas provoquer de lésion. J’ai trouvé que c’était une manière assez souple, assez humoristique…

Ce n’est pas une quenelle roccosiffredienne.

Voilà. On n’est pas dans un truc abrasif; on est dans un truc plutôt décontracté. C’est encore plus décontracté que le suppositoire. Pour peu qu’il y ait une petite sauce écrevisse avec…

Où en sont vos relations avec Marine Le Pen?

Je n’ai jamais eu de relations avec Marine Le Pen. Elle a dit que je n’étais pas sa tasse de thé. Je pense que Marine Le Pen a une vie politique, une entreprise politique et elle gère sa boutique.

Et avec Jean-Marie Le Pen?

Jean-Marie Le Pen, c’est un personnage assez infréquentable… Moi, je me suis battu contre lui pendant des années, et j’ai eu, après, l’occasion de le rencontrer. C’est devenu quelqu’un que j’ai plaisir à rencontrer. On a une relation amicale maintenant.

Partageriez-vous ses idées?

Non. Je n’ai jamais soutenu son parti. Mais c’est l’homme qui, à mon avis, a marqué vraiment l’Histoire. Il a été un épouvantail dans le champ de la politique. Et c’est intéressant car, finalement, il a tenu son rôle. Il a rendu service aux gens de pouvoir. Mitterrand en avait besoin pour gagner des triangulaires.

Mitterrand, ainsi, est parvenu à quasiment liquider le Parti communiste.

C’est ça… Jean-Marie Le Pen en a profité en tant de gérant de PME de la politique. J’espère qu’il aura l’occasion, un jour, de s’exprimer réellement sur son parcours, sur sa vie. C’est quelqu’un d’intéressant à écouter. Il est très différent de ce que les médias disent de lui.

Aimez-vous la littérature? Lisez-vous beaucoup?

Oui, mais j’ai de moins en moins le temps de lire.

Citez-nous quelques écrivains que vous aimez?

Evidemment Céline. Marc-Edouard Nabe a beaucoup de talent. Alain Soral. J’aime aussi la littérature orientale, libanaise par exemple. Les vieux classiques. J’aime bien les auteurs antillais. J’ai eu la chance d’en rencontrer beaucoup car j’ai eu la chance de faire partie du jury d’un prix littéraire d’Outre-Mer. J’aime

Dieudonné, dans son théâtre, à Paris.

Chamoiseau, Fanon, Césaire… J’aime aussi Garaudy.

Garaudy qui était très apprécié par l’ultra-gauche…

Oui, j’étais tout à fait dans ce mouvement. J’appréciais ses positions sur la Palestine, sur l’Afrique du Sud. Et moi qui suis un homme de théâtre, je lis tous les classiques. J’aime également beaucoup Audiard. J’aime sa poésie urbaine; c’est extraordinaire! J’ai également eu la chance d’être très copain avec Claude Nougaro. Personnellement, je n’ai pas le temps d’écrire; j’écris des spectacles mais ce n’est pas pareil. Une fois que j’ai écrit mon spectacle, j’ai un an pour le peaufiner. Alors que livrer une oeuvre, comme ça, je ne l’ai jamais fait. J’ai beaucoup d’admiration pour le travail des auteurs. Je me dis : quel boulot ! Nous, on défend notre texte; on l’a au bout de la 300e représentation. On a gommé toutes les aspérités; on tient quelque chose d’une efficacité redoutable; alors qu’un texte… L’écriture, c’est un vecteur de la pensée qui est le plus accessible, le plus facile à réaliser. Pour un créateur. Monter un spectacle, monter sur scène, ce n’est pas évident; c’est plus compliqué. J’aime bien la poésie, aussi.

Quels sont les poètes que vous appréciez?

Les poètes orientaux. Plus jeune, j’aimais Rimbaud. J’adore la musique (ma mère aimait beaucoup la musique). Ferré, c’était puissant… C’est dommage car la poésie n’a pas de réalité économique dans le monde du spectacle. A la télé, ça ne marcherait pas. Pourtant, on l’a étudiée à l’école; on y a été sensibilisés.

La poésie revient un peu grâce au slam et le rap.

Je suis d’accord. Il y a des trucs extraordinaires. En trois ou quatre minutes, on nous entraîne dans un autre univers. Moi, j’ai choisi le rire pour m’exprimer. En cette période de crise, on sent que c’est très important. Les gens ont une relation au rire qui a vraiment évolué. Après guerre, on rigolait en mangeant dans les cabarets… Et là, les gens ont besoin de rire pour évacuer un stress, une pression… On le voit avec le succès des spectacles humoristiques en France. Ces spectacles ont dépassé ceux des chanteurs. Tant mieux pour ceux qui, comme moi, croient au rire. On peut avoir dans une période comme la nôtre, la responsabilité d’apaiser les choses. Des les exciter, je ne pense pas; on ne part faire la guerre en riant. Certains prétendent que mon humour pourrait énerver… non… je ne le pense pas. Si vous venez voir le spectacle, vous verrez que ce n’est pas du tout le cas. Il n’y a jamais eu de bagarres…

Comment définiriez-vous votre public?

Ce n’est pas à moi d’en parler; il faut le voir. Il est de toutes origines. C’est drôle d’avoir dans une même salle des femmes voilées à côté de gens avec des croix, des gens d’un certain âge… il y a de tout…

Revendiquez-vous toujours une certain laïcité républicaine?

Le rêve de la laïcité, de la république, évidemment, j’ai grandi avec. Il fait partie de mon histoire, ce rêve. Mais qu’est-ce qu’il a donné? La moitié de ma famille est africaine. Qu’est-ce qu’a fait la République dans les territoire d’Afrique qui étaient contrôlés par les Lumières? Croyez-moi bien que les Lumières ne brillaient pas fort en Afrique.

Il y avait aussi des gens comme Victor Schœlcher.

Schœlcher récupère sur son nom seul… C’est un peu comme de Klerk et Mandela. Schœlcher, il n’a pas arrêté l’esclavage à lui tout seul. Ce sont les esclaves qui se sont libérés par eux-mêmes qui se sont affranchis. Par exemple à Nantes, il y a une place Schœlcher.

Vous pensez que c’est excessif?

Non, mais il n’y a même pas une impasse Toussaint-Louverture. Or, le héros noir de la traite nègrière, c’est lui. C’est lui qui est né esclave et qui va libérer Haïti. C’est très compliqué. C’est comme si on disait, en France, qu’on allait prendre un Allemand pour parler de la Résistance. Il y avait de bons Allemands, même des très bons.

Les premiers Résistants étaient des Allemands.

L’abolition de l’esclavagisme est avant tout dû à la volonté des Noirs. S’ils avaient voulu rester esclaves, il n’y aurait pas eu beaucoup de résistance. Mais comme toujours, les bénéfices de ces combats sont revenus à un Blanc franc-maçon. Ceci dit, la franc-maçonnerie doit porter des valeurs tout à fait intéressantes. Schœlcher avait fondé, au départ,une sorte de club de réflexion philosophique. Et, avec le temps, c’est devenu un organe de pouvoir. Comme toute religion car la franc-maçonnerie est une religion au sens latin du terme. Le pouvoir corrompt tout, toute organisation.

Vous avez en vous un côté très libertaire.

Oui, oui. On peut difficilement me classer. Je trouve que le classement n’est pas possible quand on est un artiste. Et pour moi, musulman et chrétien, c’est la même chose… Je le pense sincèrement. Je me considère comme un islamo-chrétien.

Propos recueillis par

PHILIPPE LACOCHE

Deux grands frères rock et les ombres des bordels des seventies

Slim Batteux, aujourd'hui, devant un carquois d'Indien. Chez lui, dans son appartement de la rue Diderot, à Vincennes, à quelques centaines de mètres du lieu de résidence de son ami Luc Bertin.

Slim Batteux, lors d’un concert à Charleville, dans les Ardennes. « J’égtais complètement bourré », reconnaît-il. D’où les bières sur l’orgue.
Les Brothers Mac Daniel avec (de droite à gauche), Luc Bertin, Slim Batteux, Jean-Pierre Josse (à la basse), Michel Girard (ba&tterie), Daniel Girard (guitare).

 Une grande pièce ovale baignée de lumière pâle. Une fenêtre large qui donne sur une rue de Vincennes, pâle elle aussi. Grise plutôt. D’un beau gris, doux et duveteux, comme seule la proche banlieue tranquille de Paris sait en produire. On se croirait dans un roman d’Emmanuel Bove, dans Mes amis ou dans Bécon-les-Bruyères. Nous ne sommes pas dans un roman de Bove. Nous sommes chez Slim Batteux, organiste, bassiste, choriste, multi-instrumentiste, l’un des meilleurs musiciens du blues et de la chanson française depuis des années. Slim et son copain Luc

Les Vizirs. Au centre, à la guitare, Slim Batteux. A droite, au tambourin, je crois recopnnaître mon copain Patrick Pain (qui deviendra par la suite chanteur de Up Session, puis de Purin) mais je n'en suis pas certain; il faut que je le lui demande.

Bertin, chanteur et pianiste, nous ont fait rêver, nous les petits Ternois des seventies, apprentis rockers. Eux, manières de grands frères doués, diplômés ès-rock’n’roll grâce à la base américaine de Crépy-Couvron, entre Laon et La Fère, où ils allaient s’approvisionner en 45 tours, avaient fondé un fantastique groupe de rhyth’m’n’blues, les Brothers Mac Daniel, avec lequel ils avaient fait fantasmer des centaines de minettes. En juillet1969, Slim et Luc mettent les bouts en Angleterre, en stop, façon beatniks. Puis se retrouvent à Paris, deviennent des presque clochards avant de rebondir comme musiciens de studio et de scène derrière les plus grands: Michel Jonazs, Johnny Hallyday, William Sheller, Ray Charles, Percy Sledge, Véronique Sanson, etc. Lorsque nous traînions dans les bordels de Tergnier, au cœur des seventies, le copains et moi, on ne cessait de nous parler d’eux et des Ricains. À la Huchette, la grande brune qui nous faisait des réductions, nous racontait comment, un soir bien arrosé, le Slim et le Luc avaient fait un quatre mains au piano. Boogie, rock’n’roll et rhythm’n’blues. J’étais heureux, ce samedi d’hiver, d’interviewer Slim chez lui, à Vincennes, comme j’étais heureux d’avoir interviewé Luc Bertin (qui lui aussi habite Vincennes, à quelques centaines de mètres de Slim) en2004. Je regarde Slim, avec sa bonne tête de Sioux. Puis, je regarde les villas de Vincennes, d’un gris doux comme les romans de Bove qui sont remplis d’ombres. Moi, mes ombres, ce sont mes souvenirs des seventies axonaises. Mes copains s’appelaient Fabert, Rico, le Colonel, Granger. Les bordels se nommaient La Huchette, La Loggia, Le Daguet. Certains copains sont au cimetière. Les bordels se sont transformés en épiceries ou en agences d’intérim.

Dimanche 29 janvier 2012.