Un dimanche à Franleu, dans le Vimeu

De gauche à droite : Lysiane, Eliane, la Marquise, Lysian, Hervé.

Nous étions invités, la Marquise et moi, chez Lysian, à Franleu, un dimanche midi. Lysian est le père de Lysiane, une amie de la Marquise. Hervé, le compagnon de Lysiane, était là aussi. Ainsi qu’Éliane. Le temps était incertain. Nuageux. Gris. La maison est magnifique. Une grande pelouse, qui donne sur l’arrière, devant la véranda, me fit penser à l’Irlande. L’Irlande. Je la contemplais, depuis la véranda, un verre de Pouilly-fuissé à la main. Soudain, une terrible averse. Une pluie douce, presque tiède, mais drue. Comme celles qui s’abattent sur le Connemara et sur le Kerry. Me revenaient des souvenirs. Ma mémoire s’embrumait; mes yeux aussi. La pluie certainement; pourtant j’étais au sec. Mais il y a des pluies de nostalgie qui traversent tout: les imperméables et les murs de verre d’une véranda. Ce sont des pluies intérieures. Ce sont à la fois les plus douces et les terribles. Je me souvenais de mon premier voyage dans le Connemara, au printemps 1976, en compagnie de mon copain d’école de journalisme, Jean-Luc Péchinot. En bons fils de cheminots, nous avions pris le train, puis le ferry. (Nos billets quasi gratuits nous y autorisaient; la SNCF, avec ses accords internationaux, était encore une société fraternelle; elle n’était pas encore enkystée, comme un mauvais cancer, dans les chairs putrides de l’Europe des marchés qui pourrit tout.) Arrivés en terre irlandaise, nous avions demandé à une jeune fille comment nous pouvions nous rendre en train dans le Connemara. Elle avait ri aux éclats: «Connemara by train? Ah! Ah! Ah!» Alors, nous avions fait du stop jusqu’à Galway. Autre souvenir d’Irlande: avec mon ex-femme, au milieu des années 1990. Un printemps encore. Encore amoureux aussi. L’amour donne des ailes. Nous avions fait le tour de l’île en une semaine en voiture. Un délice. Je regardais encore la drache tomber sur la pelouse de la maison de Lysian, à Franleu. Lysian, homme délicieux, cultivé et éclairé, me fit découvrir, un livre rare, L’esprit français, de Arts et lumière, illustré par Jacky Redon. Un tirage limité: 2039 exemplaires. Celui acquis par Lysian porte le numéro 395. Il s’agit d’un recueil de textes, de proses, de citations et de poèmes. Parmi ceux-ci, cette phrase émouvante du général de Gaulle: «Soissonnaises, Soissonnais, j’en donne l’ordre au ministre de la Culture: votre vase sera réparé.» Il y a tout l’esprit français dans cette phrase. Et cette citation de Georges Courteline: «Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est un délice de fin gourmet. » Et puis, Vimeu oblige, je repensais à Léo – ma petite amoureuse d’antan – dont les grands-parents résidaient à Franleu. Sa mère habitait Mons-Boubert, un ancien presbytère que j’ai appelé La Maison des girafes dans l’un de mes romans. C’était au temps de nos amours encore. C’est si loin, tout ça. Le père de Léo habitait Arrest. Nous appelions ces trois communes «le Triangle des Bermudes». Nous eussions pu nous y perdre dans un bonheur absolu. Mais, non. Le temps qui passe, capitalisme de l’âme des grands amoureux, brise tout. Je continuais de regarder la drache sur la pelouse irlandaise de Lysian. Je regardais aussi la Marquise qui riait aux éclats. Je me disais que c’était bon signe. «Ne me secouez pas, je suis plein de larmes», écrivait Henri Calet. Je me disais que j’étais plein de pluie. La pluie des amours délicates. De celles, acides, qui vous rongent le cœur et vous l’embrument de retours impossibles. Un jour, je prendrai un train qui part. Enfin, peut-être.

Dimanche 9 juillet 2017.

François Morel : le « mélancomique »

Ses chroniques sur France Inter

François Morel.

sont délicieuses d’humour, d’impertinence et de mélancolie. Ses chansons le sont aussi. A la fois chanteur, comédien, parolier, écrivain et chroniqueur, François Morel a l’humour littéraire ; il aime les mots. Ce sont des bonbons qu’il suçote avec gourmandise. La langue française est son amie. Il viendra chanter, le 25 avril, à la Maison de la culture d’Amiens. Il a répondu à nos questions.

François Morel, vous allez vous produire, le 25 avril prochain, à la Maison de la culture d’Amiens. Qu’allez-vous nous interpréter ? L’intégralité de votre dernier album, ou d’autres chansons ?

Le gros du spectacle sera effectivement composé des chansons du dernier album, La vie (titre provisoire). Je travaille avec Antoine Salher qui est plus connecté sur le disque, et moi je suis plus connecté sur la scène. Quand je pense à des chansons, je me dis qu’il faut qu’elles puissent présenter un intérêt scénique. Et il y a aura quelques chansons supplémentaires. Il serait étonnant que je n’ajoute pas une chanson de Trénet. Ca bouge assez souvent, le répertoire ; la semaine dernière, nous avons rajouté une chanson qui figurait sur le premier disque. Le plat principal est le dernier disque et de temps en temps, il y a des petits rajouts.

Avec quelle formation allez-vous vous produire sur la scène d’Amiens ?

Il y a aura quatre musiciens. Antoine Sahler qui est le compositeur, sera au piano, à la trompette et au mégaphone. Tous les musiciens sont multi-instrumentistes. Il y a une clarinettistes-saxophoniste qui fait du clavier de temps en temps. Il y a une percussionniste. Il y a aussi un contrebassiste-guitariste (Amos Mah).

Les critiques ont dit que votre dernier disque était à la fois teinté d’optimisme et de mélancolie. Etes-vous d’accord ? Est-ce que le terme de « mélancomique », attribué à Guy Bedos, vous convient, et pourquoi ?

Oui, il me semble que c’est bien Guy Bedos qui ait inventé ce mot-valise. Oui, ça me va pas mal ! J’aime bien passer d’une émotion à l’autre. C’est un spectacle sur la vie ; il y a donc parfois des virages un peu compliqués. Il y a des chansons très lugubres qui suivent des chansons comiques. Il y a des montagnes russes dans ce spectacle. J’aime bien les films italiens ; j’aime bien ce qui mélange les genres.

Vous aimez la littérature aussi. Henri Calet, Emmanuel Bove, sont-ils des auteurs qui vous parlent ?

Beaucoup, oui. Mes amis, d’Emmanuel Bove, c’est magnifique ; j’avais fait une lecture publique de ce roman. J’aimerais bien ae reprendre. C’est parfois douloureux et…

Comment se sont passés les 28 concerts que vous avez donnés, cet automne, au théâtre du Rond-Point, à Paris ? Qu’en avez-vous retiré ?

En gros, excellemment ! (Rires.) Les gens étaient contents ; moi aussi. Ils étaient ravis ; il y a une petite appréhension quand on arrive dans la salle car le fait que je fasse le chanteur ne convainc forcément d’emblée. Il faut rassurer les gens en leur disant que je n’abandonne pas l’humour. Je ne fais pas le contraire de ce que j’ai fait jusque-là. Sur scène, il y a de l’humour, de la comédie ; je prends parfois les chansons comme des petites pièces de théâtre. Il y a de la musique, de vraies chansons. Ca ressemble aussi à un récital. J’ai envie de rendre un petit hommage moqueur au music-hall d’avant. J’ai des images comme ça d’Yves Montand sur scène, dans son rond de lumière. Et les musiciens relégués dans le fond. Je n’avais pas envie que tout le spectacle fonctionne comme ça, mais j’avais envie qu’il y ait des clins d’œil à cet univers-là.

Vous êtes à la fois chanteur, comédien, parolier, écrivain et chroniqueur sur France Inter. Dans quelle activité vous sentez-vous le plus à l’aise ?

Mon vrai espace, c’est quand même la scène. C’est là que je me sens le mieux. Pour faire comédien ou le chanteur. Si j’écris c’est moins pour être lu dans les livres que pour me retrouver sur scène et à avoir des choses à dire. Mon activité principale, c’est la scène.

Le fait de venir d’un milieu modeste (père cheminot ; mère dactylo), et de province, a-t-il influencé votre expression ?

J’adore l’univers qu’a vécu mon père dans son enfance. Je pense aussi que si j’ai un goût pour les mots c’est que ceux-ci ne sont pas venus spontanément. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les gens qui s’expriment extrêmement bien. Je n’ai pas le sentiment de m’exprimer toujours très bien dans ma vie. Et si je recherche ça dans mes chroniques ou dans mes chansons, c’est parce que j’ai eu à me battre pour m’exprimer correctement.

C’est la chanteuse Juliette qui a mis en scène votre spectacle. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

C’est la deuxième fois qu’elle me met en scène ; j’aime beaucoup ma collaboration avec elle. On s’entend bien ; on est joyeux ensemble. On bosse beaucoup ; elle est rapide. Elle a plein d’idées. Quand les idées ne sont pas bonnes, on les abandonne et on en trouve d’autres. Elle a une très bonne connaissance de ce qui constitue un récital de chansons. Pour l’ordre des chansons, elle m’a apporté beaucoup de choses. Elle a vraiment travaillé sur la mise en scène ; sur les entrées, les départs. Elle a un grand sens musical, même si c’est Antoine qui écrivait, elle avait aussi son mot à dire, et ses sensations étaient très bonnes.

Quels sont vos projets après cette tournée de concerts ?

J’avais eu une commande Jeanine Roze qui est productrice plutôt dans la musique classique ; elle m’avait sollicité pour que je fasse une lecture spectacle autour de Raymond Devos. J’ai fait une première ébauche au Théâtre des Champs-Elysées. Je pense que je vais continuer pour en faire un vrai spectacle.

Et ce serait quand ?

Je ne sais pas car j’ai encore envie de défendre mon dernier album.

                                               Propos recueillis par

                                               PHILIPPE LACOCHE

 

L’hiver humide est indéfendable

De gauche à droite : Thaïs, Jean-Pierre Ternisien et Fred Thorel.

       Noël et ses vacances étranges sont déjà si loin. Étranges, oui, avec son froid humide, glaçant qui transperçait mes deux pulls et mon duffle-coat de vieux soixante-huitard attardé. Que faisais-je? Je lisais, écrivais, sortais peu. Quand je sortais, je me rendais dans l’un de mes bars préférés, le BDM, en plein centre-ville. Je savais que Rico, Mamat, Louis ou Andy, derrière le comptoir, aurait toujours assez de cœur pour éteindre ma mélancolie chronique en diffusant les bonnes odeurs d’une mélodie des Kinks, de Procol Harum ou un vieux Stones époque Brian Jones. Alors, je levais le nez de mon demi de Cadette et regardais, las, les guirlandes sans joie qui pendaient au-dessus de la place Gambetta. Un soir, je m’égayais en compagnie de mes amis Thaïs, adorable chanteuse-pianiste qui libère souvent ses mélodies-Satie sur Youtube; Fred Thorel, homme de culture, et Jean-Pierre Ternisien, toujours fraternel comme un légionnaire aux avant-postes, mon ami de comptoir. Mon ami tout court. Nous parlions de la vie qui va, du temps qui passe, de cette saleté d’hiver qui nous met le vague à l’âme et la soif au cœur. Et de littérature, bien sûr. La littérature, il n’y a que ça de vrai. Une vraie consolation quand les amours versatiles se consument comme les mégots de gauloises dans les cendriers en aluminium du regretté Henri Calet. L’hiver humide est indéfendable; il mouille nos âmes de langueurs monotones, bien pires que celles des automnes de Verlaine. Je venais de terminer la rédaction de mon prochain roman; je ressortais un peu de ma tanière de maison de résistant du faubourg de Hem. Un soir, je suis allé au ciné Saint-Leu pour y voir Paterson, le dernier film de Jim Jarmusch. Je m’y suis ennuyé. Non pas que l’œuvre fût ratée ou mauvaise, non. Au contraire. Mais ces longueurs, ces longueurs mornes au cours desquelles on a la désagréable impression que Jarmusch se regarde filmer. Il y a une tristesse dans ce film; une grande poésie aussi. Cela est indéniable et c’est bien. Paterson, le personnage central, vit à Paterson, dans le New Jersey, ville des poètes William Carlos Williams et Allan Ginsberg. Chauffeur de bus à la vie bien réglée au côté de la délicieuse Laura, Paterson écrit des poèmes sur un petit carnet. Pauvre petit carnet qui finira très mal. Comme tous les poèmes, comme tous les romans, comme tous les mots que personne ne lit et dont tout le monde se fiche. Nous vivons dans un monde de brutes où rien ne dure. «Pas même la mort» disait, si mes vieux souvenirs sont bons, Jean-Paul Sartre. Je suis allé tenter de m’égayer en me rendant au Gaumont pour y voir, en direct, l’opéra Nabucco, en direct du Metropolitan Opera de New York. Giuseppe Verdi est l’un de mes compositeurs préférés. Le plus latin, le plus chantant. C’était délicieux. Quand je suis sorti de la salle, il faisait encore froid et humide. L’hiver est impitoyable. Je me suis mis à penser à Calet et à Bove qui se perdaient dans les eaux glacées et tristes de l’hiver.

Dimanche 15 janvier 2017.

 

Normandie: impressionnant patrimoine littéraire chez les impressionnistes

Photo prise depuis le bac qui quitte le charmant village d'artistes La Bouille, sur la Seine.

A deux pas de la Picardie, découvrons ce circuit des écrivains entre Le Havre et Rouen. Musées, maisons de romanciers, bancs pour rêver… grâce aux mots : oublier ses maux.

Dire que la Normandie sait mettre en valeur son patrimoine littéraire est un euphémisme. Il faut dire qu’elle est bien dotée. (Pensez que notre chère Picardie, très bien dotée également avec ses La Fontaine, Racine, Claudel, Richepin, Dumas, Verne, Dorgelès, Laclos, etc., n’a jamais apposé une plaque sur la maison de naissance d’un des plus grands stylistes français, Roger Vailland, maison qui existe toujours à Acy-en-Multien, dans l’Oise; la Champagne n’est pas en reste avec notre cher écrivain communiste et libertin – ceci expliquerait-il cela? – puisque aucune plaque de mentionne que le cher Vailland a passé son enfance et son adolescence dans une jolie maison bourgeoise de l’avenue de Laon, à Reims.) Avec, dans le désordre et non sans une certaine subjectivité, Pierre Corneille, Gustave Flaubert, Jules Barbey d’Aurevilly, Maurice Leblanc, Guy de Maupassant, Victor Hugo, Jules Michelet, Benoît Duteurtre, etc., la Normandie en impose. Talent par essence, mais aussi talent par l’existence d’une communication exemplaire, efficace, légère et dynamique.

En témoigne l’opération médiatique, menée d’une main de maître par Éric Talbot, attaché de presse de Saint Maritime tourisme, et sobrement – mais joliment intitulée, clin d’oeil aux impressionnistes, of course! – La Normandie impressionnante, promenade littéraire en Seine-maritime. Celle-ci s’est déroulée dans la belle lumière claire et fade de début septembre. Il s’agissait de faire découvrir au pas de course – en deux jours – l’essentiel du patrimoine littéraire situé du Havre à Rouen, à une théorie de journalistes de la presse nationale et régionale. Pour les Picards, ce riche patrimoine littéraire est tout à fait accessible; il faut donc en profiter.

Exemple, au Havre, la promenade à la faveur des «bancs littéraires» (voir notre article ci-dessous). Bel outil, la bibliothèque Oscar-Neimeyer (exilé en Europe au milieu des années 1960, le célèbre architecte brésilien construisit notamment le siège du Parti communiste français, l’ancien siège du journal L’Humanité – un homme de goût! – et la Maison de la culture du Havre), un nouveau lieu confortable et spacieux a pris la place dans le petit Volcan, au cœur de l’espace Niemeyer.

Visite incontournable, celle du Musée Victor-Hugo, à Villequier. On entre dans une ancienne maison d’un armateur «dont la descendance a permis par onze donations de remeubler à l’identique lorsqu’elle fut transformée en 1957», comme le souligne Françoise Marchand, conférencière du lieu. Le musée conserve les souvenirs des séjours des deux familles Hugo-Vacquerie «unies par le mariage, puis la noyade tragique du couple Léopoldine Hugo-Charle Vacquerie». Il ne faut non plus se priver de visiter l’exposition Portrait de la France en vacances, à l’abbaye de Jumièges (jusqu’au 13 novembre prochain). Établie en collaboration avec l’agence Magnum Photos, elle présente une sélection d’oeuvres magistrales extraites de séries de quatre photographes (dont Henri Cartier-Bresson). Thème: l’évolution de 80 années d’arts de la représentation des vacances. À Rouen, Flaubert n’est, bien sûr, pas oublié avec l’hôtel littéraire Gustave-Flaubert dédié à l’immense romancier né dans cette ville où il a passé une bonne partie de sa vie.

 

Il ne faut se priver de visiter l’exposition « Portrait de la France en vacances », à l’abbaye de Jumièges

 

On n’oubliera pas de visiter le musée Pierre-Corneille, à Petite-Couronne, installé dans la maison que le dramaturge hérita de son père. Mobilier d’époque, peintures, éditions rares… un vrai bonheur! Le plaisir de l’esprit et des yeux, on le trouve encore en découvrant l’adorable ville de la Bouille, village d’artistes, que l’on visita sous la délicieuse et charmante présence d’Agnès Thomas-Maleville, descendante d’Hector Malot. Connu pour son bac qui assure la navette entre les deux rives de la Seine, c’est dans ce village que naquit Malot et que vint peindre Alfred Sisley. À Rouen toujours, faisons une halte au Musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine, dans la demeure du XVIIIe siècle, où se trouve la chambre natale de Flaubert dans le logement de fonction de son père, chirurgien de l’Hôtel-Dieu. Étonnante et adorable Normandie littéraire!…

PHILIPPE LACOCHE

 

Les bustes de Beauvoir et de Sartre

Si littéraire Normandie! Quand on sort de la jolie gare de Rouen, impossible de ne pas passer devant le Métropole café. Un établissement à l’ancienne, tant dans le mobilier que dans l’atmosphère. On pourrait y croiser Emmanuel Bove, Henri Calet ou Pierre Mac Orlan. C’est à cet endroit que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre se donnaient rendez-vous quand ils enseignaient en Normandie (lui au Havre, où, dit-on, il écrivit La Nausée; elle à Rouen). L’anecdote eût pu rester au stade de la légende, voire – horreur! – de la rumeur. Non: le Normand a de la mémoire littéraire. En témoignent une plaque explicative et les bustes de deux écrivains essentiels (désolé, Jean-Paul: on sait bien que l’Existence précède l’Essence!). Ph.L.

Le Métropole café, 111, rue Jeanne-d’Arc. Tel. 02 35 71 58 56.

 

Des bancs et des contacts

Une promenade littéraire au Havre ne peut se faire qu’avec le parcours des vingt bancs littéraires (notre photo) disposés à des endroits stratégiques de la ville. On peut ainsi découvrir des extraits des livres de grands auteurs (Balzac, Zola, Sartre, Duteurtre, Quignard, etc.) dans lesquels ils décrivent la ville portuaire ou même le lieu précis où vous vous trouvez. L’idée est succulente, inventive, géniale! (www.promenadelittéraire-lehavre.fr).

Autres contacts: Musée Victor-Hugo, 76490 Villequier, 02 35 56 78 31, www.museevictorhugo.fr. Abbaye de Jumièges, 24, rue Guillaume le Conquérant, 76480 Jumièges, 02 35 37 24 02. Best Western Gustave-Flaubert, 33, rue du Vieux-Palais, 76000 Rouen, 02 35 71 00 88, Hotelgustaveflaubert.com; Musée Pierre Corneille, 502, rue Pierre-Corneille, 76650 Petit-Couronne, 02 35 68 13 89, museepierrecorneille.fr

 

 

Mon Ascension vers toi, Pêcheur de nuages

À la faveur de la diffusion de ma pièce de théâtre, L’Écharpe rouge, interprétée par les comédiens du Théâtre de l’Alambic, je me suis retrouvé à Reims, en ce jeudi très ensoleillé de l’Ascension. Reims : pour moi, toute une histoire. Celle de mes vacances champenoises, dans le parc du château de Sept-Saulx, propriété d’Édouard Mignot qui avait fait fortune avec la chaîne de petites épiceries des Comptoirs français, château où mon grand-père maternel était jardinier. À l’intérieur de l’immense parc à la française, boisé, piqueté de haies de buis si odorants (où que je sois aujourd’hui, quel que soit le temps, leur odeur m’inonde de tant d’émotions que mon imbécile de carapace de petit macho Ternois m’empêche de te dévoiler, lectrice) coule la Vesle, la plus française des petites rivières, poissonneuse à souhait (chevesnes, vandoises, anguilles, truites, brochets, gardons, perches, rotengles, brèmes, vairons fougueux, manières d’aiguilles d’étain) en amont de Reims. Mon cousin Guy, le Pêcheur de nuages, et moi, passions le plus clair de notre temps à y pêcher. Pêches miraculeuses, fantastiques, merveilleuses. Lorsque je ferme les yeux,

L'immeuble du Pêcheur de nuages, rue du Bastion, à Reims.

L’immeuble du Pêcheur de nuages, rue du Bastion, à Reims.

j’ai encore dans les narines, l’odeur musquée de ces beaux poissons qui se mêlaient à celle des premières Balto (dont nous recrachions la fumée par le nez) et des pieds de menthe verte que nous écrasions en tentant de nous trouver une place, au bord de cette petite Vesle, si sauvage, si végétale, petite jungle en terre de craie. Oui, si française. Reims donc, en ce jour d’Ascension. À l’hôtel, je me rends compte que je suis à deux pas de la rue du Bastion, où se situe l’immeuble de la dernière résidence sur Terre de mon regretté cousin, immeuble du haut duquel il a pris, un jour des années 1990, son envol définitif. Jamais je n’avais osé y retourner. Là, il le faut. Je marche; j’erre, le nez en l’air, à la découverte des façades art déco de cette ville superbe qui, dans ma tête, bulle comme une tanche d’or. Le voilà, cet immeuble. C’était donc là. Ses derniers pas, il les a effectués sur ce trottoir; c’est cet air-là qu’il a respiré. La rue du Bastion me prend à la gorge comme une odeur de buis. «Ne me secouez pas, je suis plein de larmes», eût dit Henri Calet. 16, rue du Bastion. Qu’est-ce que la vie d’un homme, un jour d’Ascension, à Reims, sous un soleil de presque plomb? Peu de chose dans l’Univers. Des souvenirs, quelques images, fugitives, qui fuient comme l’eau de la Vesle, vers l’Aisne, vers Bazoches-sur-Vesles, vers Braine. La Vesle, tiens. Il me prend une envie folle de la revoir; je fonce vers le stade dont elle caresse les contreforts de ses eaux céladon. La voici. Allait-il la revoir, le Pêcheur de Nuages, avant l’ultime grand saut? Avait-il repensé à nos parties de pêche de Sept-Saulx?

Dimanche 15 mai 2016.

Les essuie-glaces d’un Français moyen sous le règne de François Hollande

Jérôme Leroy (à gauche) et Jérôme Araujo, rue des Lombards, une nuit d'hiver, à Amiens (Terre).

Jérôme Leroy (à droite) et Jérôme Araujo, rue des Lombards, une nuit d’hiver, à Amiens (Terre).

Il se met à pleuvoir sur le pare-brise de ma Peugeot 206. Mes essuie-glaces font un boucan d’enfer comme ceux des véhicules des gens de la classe dite moyenne sous le règne de François Hollande. On pourrait parler aussi parler des essuie-glaces de la voiture de Columbo mais… Mais non, l’écrivain lillois Jérôme Leroy, qui se trouve à mes côtés, lui, ne parle que du charme de l’hiver picard. Il doit penser à une nouvelle de Pierre Mac Orlan, à un roman d’Emmanuel Bove ou d’un récit d’Henri Calet. Comme c’est un homme modeste, il n’en dit pas plus. Nous descendons Jérôme Araujo, secrétaire général de la Maison de la culture qui, quelques instant plus tôt, avait ouvert les portes de ses locaux à l’Université populaire qui y organisait une conférence avec Jérôme Leroy. Thème : l’impact du roman noir sur la société. Voilà, tu sais à peu près tout, lectrice. Je pourrais m’arrêter là, aller me coucher. Je mettrai ce que dans notre jargon de la presse, il convient d’appeler un bouche-trou pour combler l’espace blanc qui pendouillerait comme un vieux marcel sale en dessous de ces lignes. Mais non : comme j’ai bon cœur, je continue lectrice de chair, ma fée fessue et mamelonnée comme un Maillol. Lors de sa conférence, Jérôme Leroy a d’abord rappelé la différence entre roman policier (anxiolytique et respectueux des institutions) et roman noir (anxiogène et qui se contrefout des institutions). Et, il parla avec bonheur de son excellent roman Le Bloc, sorti il y a quelques années, et qui met en scène Le Bloc Patriotique, un parti d’extrême droite qui ressemble fort à celui qui fut longtemps dirigé par un père avant que sa fille ne reprenne le flambeau. Comme le rappelle non sans humour Leroy, il y décrit une manière de Nuit des petits couteaux. La conférence était suivie de la projection du remarquable film Série noire, d’Alain Corneau, avec notamment Patrick Dewaere, sublime dans sa folie (les coups de tête qu’il donne sur le capot de bagnole sont réels et quand il semble à moitié assommé, il l’est réellement), et l’adorable Marie Trintignant, 16 ans, qui se met nue devant Dewaere, avec son corps velouté, tout en appétissantes rondeurs ; un corps pour lequel n’importe quel mec se damnerait et qui conduirait à ne plus jamais écouter la moindre mélodie de Noir Désir. Le film n’est pas bon ; il est sublime. Ensuite, Jérôme Leroy et moi avons parcouru Saint-Leu pour tenter de trouver un rade d’ouvert afin d’y réaliser une interview. Peine perdue. Il était plus d’une heure et nous étions lundi. Nous nous rabattîmes donc sur le bar de son hôtel où le jeune homme de service se mit à discuter longuement avec nous, nous proposant ses points de vue sur la littérature et la société. C’est passionnant. Passionnant, il l’était aussi le débat mené par Anne Martelle qui recevait Marc Lavoine qui, avec son dernier livre L’homme qui ment (Fayard) raconte sa famille dans les années soixante ; il dresse en particulier un portrait tout en tendresse de son père, communiste de banlieue, hâbleur et coureur de jupons                                                                                                Dimanche 22 février 2015.

Salut, Jean-François !

      C’était une intelligence rare ; c’était aussi un artiste. « Un point de repère dans la culture picarde », comme le souligne son ami de toujours,  Raymond Défossé. Jean-François Danquin nous a quittés, mercredi, en début d’après-midi. Il nous manque déjà. Docteur ès lettres de la Sorbonne (il avait soutenu sa thèse sur Paul Morand), il était fou de littérature. Lorsque nous nous croisions, dans les rues d’Amiens, souvent dans notre cher quartier Saint-Leu, quelque fût le temps, nous discutions longuement des écrivains qui nous avaient bouleversés (Roger Vailland, Blaise Cendrars, Henri Calet, Emmanuel Bove) ou intrigué (Paul Morand, les Hussards, Drieu la Rochelle, Brasillach), ou des chanteurs de rock (Van Morrison, Dr Feelgood). Sa culture en matière culturelle était immense. C’était un homme de liberté, d’une grande tolérance, capable d’aimer à la fois Dubuffet et Andy Warhol, l’art brut ou africain et les plus peintres les abstraits du FRAC. Nous avions fait connaissance, grâce à Raymond Défossé, en 1982. Je travaillais à la fois à L’Aisne Nouvelle et à la revue de rock Best. Il était

Jean-François Danquin : une intelligence vive; un artiste sincère et doué. On ne l'oubliera pas de si tôt.

Jean-François Danquin : une intelligence vive; un artiste sincère et doué. On ne l’oubliera pas de si tôt.

alors directeur des affaires culturelles au Conseil régional. Avec la complicité de Raymond, il avait mis sur pied les fameux tremplins rock en Picardie. Grace au regretté Thierry Haupais, alors label manager chez Virgin, et au producteur Michel Zacha, nous avions pu enregistrer en live les prestations des groupes picards (F4 Coulé, Sexe des Anges, Karkass, etc.) et sortir une compilation sur le même label Virgin. Lorsqu’il devint responsable de la communication, des activités culturelles et des éditions au Musée de Picardie, il me contacta afin d’inviter des écrivains que nous appréciions (Cyril Montana, Thierry Séchan, etc.). Le jeu consistait à leur faire écrire une nouvelle inspirée par une œuvre du musée, nouvelle qu’il lisait devant un public constitué des abonnés du même musée. Ses peintures ne laissaient pas insensible. Jean-François aimait les gens qu’ils soient célèbres ou totalement inconnus. Il les immortalisait dans ses séries de peintures très réalistes, réalisées à partir de photos qu’il prenait sans cesse, dans la rue, au restaurant, au bistrot. Cet intellectuel de haut vol, cette intelligence vive, cet homme d’une immense culture, cachait une sensibilité rare qu’il dissimulait sous un humour parfois acidulé. Jamais méchant. Il écrivait aussi, sous le pseudonyme de Jean-Louis André, des nouvelles, de courts récits. Notre journal avait publié l’une de ses fictions, il y a quelques années. Oui, les gens et les destins le fascinaient. Le temps qui passe aussi. Comme tous les littéraires. Les rues de Saint-Leu vont être bien tristes sans toi, JFD. Salut, Jean-François !

                                        Dimanche 25 janvier 2015

Le panache et le style de Thomas Morales

Ce styliste remarquable, très français, nous éblouit avec quelque quatre-vingts chroniques où il évoque les meilleurs de nos écrivains.

 D’où vient? Que fait-il? Où va-t-il? Il y a un mystère Thomas Morales comme il y eut, en d’autres temps, un mystère Remy de Gourmont ou un mystère Henri Calet. On sait, pourtant, qu’il a beaucoup écrit, comme critique, comme journaliste, des articles, dossiers de presse. Sur la mode, le cinéma, les livres, nous confie son éditeur, l’excellent et érudit Emmanuel Bluteau celui pour qui la belle écriture française, d’où qu’elle vienne, n’a pas de secret. Le mystère Morales s’éclaircit quand on le lit. Sans conteste, il est «De chez nous», comme eût pu le dire Christian Authier qui vient de se voir décerner, il y a peu, le Renaudot de l’Essai pour l’ouvrage du même nom paru chez Stock. Oui, il suffit de le lire pour comprendre que Thomas Morales n’a pas seulement du talent; il a du style, du panache, de l’élégance. L’écriture n’est pas chez lui un luxe; c’est un besoin. Sa prose sonne juste comme le riff lancinant des Kinks dans la

L'excellent Thomas Morales : du style et du panache. Il écrit juste, sincère et vrai. Lisez-le sans tarder!

L’excellent Thomas Morales : du style et du panache. Il écrit juste, sincère et vrai. Lisez-le sans tarder!

chanson «Lola». Il est aussi français que les Kinks sont british, so british. Morales est si français que, quand on le lit, on a envie de sentir l’été finir sous les tilleuls du côté de Nieulle-sur-Seudre en compagnie et Kléber Haedens et on a envie de partir à la chasse pour un mauvais coup, aux côtés de Roger Vailland. Avec Lectures vagabondes, Thomas Morales nous donne à lire quelque quatre-vingts chroniques du meilleur cru. Elle se déguste, se suçote comme autant de petites friandises acidulées et succulentes. On y croise François Nourissier, Patrick Besson, Roger Nimier, Bernard Frank, Antoine Blondin, Jean d’Ormesson, Maurice Ronet, Gabriel Matzneff, André Vers, Renaud Matignon, Hardellet, Denis Tillinac, François Bott, Jacques Francis Rolland et bien d’autres.

 

«L’amertume du monde»

 

Et que faire d’autre, pour qualifier son style son panache, que de le citer – quitte à en faire souffrir sa modestie – page 15, dans sa chronique «Portrait d’un styliste», qu’il commence en ces termes: «Un styliste est un écrivain qui choisit la face la plus abrupte de la littérature, qui ne se contente pas d’aligner des mots pour raconter une histoire mais un homme, un peu fou, animé par un délire de pureté, atrocement sensible et éperdument orgueilleux, qui se bagarre avec eux, les fait chavirer, leur extrait une pulpe sanguine. L’amertume du monde est sa boisson préférée.»

 

Dans sa très belle préface, Jérôme Leroy qualifie bien l’état d’esprit de Thomas: «Il faut vraiment vivre une époque où les assignations ont force de loi pour oublier qu’on devrait aimer les écrivains en fonction de leur appartenance idéologique.» Thomas Morales a compris depuis longtemps que la grande littérature est bien au-dessus des éthiques, des politiques et des idées. Elle est là tapie au cœur de nos âmes perdues dans un monde de bruine. Lisez Morales : il rafraîchit les cœurs les plus secs.

 

PHILIPPE LACOCHE

 

 

 

Lectures vagabondes, articles buissonniers, Thomas Morales, éd. La Thébaïde, coll. Au marbre; 255 p.; 18 €.

Un roman d’une poignante sincérité

François Cérésa : on le savait facétieux, brillant, plein de panache et d’humour libertaire. On le retrouve ici tendre et émouvant dans ce livre à un ami défunt.

 Roman ou récit ? Récit plutôt, car, on le sent bien, malheureusement, tout est vrai. Même si François Cérésa, en bon romancier, a su utiliser les atmosphères, les subtilités et les nuances du genre. Cérésa déroule le fil de ses souvenirs, de sa bande de copains, sept au total, dans le Paris des seventies. Ils sont tous bien allumés, passionnés, ne manquent ni d’audace, ni de panache, s’adonnent avec gourmandise à divers excès. L’après Mai 68 n’est pas loin. Les années sont folles, sulfureuses. Délétères pour certains. Ce sera le cas pour le plus fragile d’entre eux, Nanard. Le plus proche du narrateur aussi : « L’autre jour, en allant rue Boulard, je suis passé rue Brézin. Tu habitais là. Un enfant du XIVe. On t’appelait Nanard. Nanard, ça fait film raté. Ça fait aussi Jojo, comme une chanson de Brel. « Voici donc quelques rires, quelques rêves, quelques blondes… ».Qui connaît encore Brel ? Tout cela est bien ancien. Tu étais mon double, mon frère, mon ami. On s’est connus en troisième, chez mes maristes. Collège Stanislas. On avait 14, 15 ans. C’est vrai, ces derniers temps, dans le tourbillon de la vie, on se voyait moins. Tu aurais pu être Jules, et moi Jim. Qu’est devenue la bande d’autrefois, je te le demande. Tu ne répondras plus. Ce 28 août 2012, j’ai fait le compte. Nous ne t’avions pas vu depuis six mois. Pour nous, un bail. »

Le ton est donné. Nostalgie ? Bien sûr. Mais jamais de ton larmoyant. Ce n’est le genre du narrateur, ni celui de Cérésa. Pas celui de Nanard non plus. Nanard qui n’est plus. Le colosse s’est suicidé. « Tout au bout de la rue Boulard, on aperçoit un mur avec des frondaisons. Tu reposes de l’autre côté. Cimetière Montparnasse. Dans le caveau familial. Dans une petite urne. On t’a incinéré à Clamart. J’ai toujours pensé que tu brûlais la vie par les deux bouts. La preuve, pour fêter des 59 ans, tu t’es suicidé. Bon anniversaire, Nanard. » Le narrateur nous dresse un portrait tout en nuances de ce drôle de Nanard, insaisissable, qui, comme beaucoup d’entre nous, pauvres petits humains, tente de garder la face tout en sachant que tout est plombé d’avance. Pas de larmes, non. Juste une sorte d’absurdité qui finit par vous envahir. Un joli mot résume cet état : la mélancolie. Souvent, elle vous tire par la main et vous entraîne au bord du gouffre. Certains sautent dans le vide ; d’autres pas. On n’est pas égaux devant ces choses-là. Calet, Vailland, Sartr

François Cérésa : excellent écrivain, fondateur de la revue "Service littéraire".

François Cérésa : excellent écrivain, fondateur de la revue « Service littéraire ».

e et quelques autres l’ont assez rabâché. On est en droit de ne pas leur donner tort. « Si j’écris maintenant, c’est pour ne pas oublier ceux qui partent trop tôt, beaucoup trop tôt. Comment faire autrement ? Je voudrais te dire mon amitié pour avoir trop souvent oublié de te le dire de ton vivant. » Voilà qui est fait, cher François Cérésa. Votre Nanard, on n’est pas près de l’oublier. Votre livre non plus car il est poignant, sincère. Fraternel.

PHILIPPE LACOCHE

 

Mon ami, cet inconnu, François Cérésa, éd. Pierre-Guillaume de Roux ; 174 p. ; 19,50 €.

 

Paris sous le soleil de presque automne

                    

Une brochette de Hussards : de gauche à droite : Arnaud Le Guern, Franck Maubert et Cyril Montana (à la terrasse de L'Ami Chemin, dans le XVe arrondissement, un excellent restaurant tenu par une charmante dame). Le quatrième hussard (rouge) se trouve derrière l'appareil photo. Le marquis himself!

Une brochette de Hussards : de gauche à droite : Arnaud Le Guern, Franck Maubert et Cyril Montana (à la terrasse de L’Ami Chemin, dans le XVe arrondissement, un excellent restaurant tenu par une charmante dame). Le quatrième hussard (rouge) se trouve derrière l’appareil photo. Le marquis himself!

    Soleil. Je fonce à Paris rejoindre des amis. J’adore le soleil de presque automne. Il est doux comme une nouvelle de Jane Austen. Mystérieux et plein de promesse aussi. Comme l’étaient justement Paris et ce jour-là. Première halte au café Delmas, place de la Contrescarpe, dans le Ve. Il y a longtemps que je n’étais pas venu dans ce quartier qui fleure bon les jours anciens, la capitale d’antan, les films des sixties. J’interviewe Emmanuel Ethis, un brillant enseignant, président de l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse qu’il dirige avec brio et conviction depuis 2007. Il est élégant comme Paul Morand, passionné comme le vrai Picard qu’il est (né à Compiègne en 1967), et ses mots sont ceux de l’espoir. Une manière d’espoir rimbaldien. Il rappelle que le budget moyen disponible par étudiant, une fois qu’il a payé son logement, sa nourriture, ses livres, s’élève à 5 et euros par jours. Il pense que tout cela peut être amélioré. Contrairement à Paul Morand, grand écrivain mais indécrottable conservateur, Emmanuel Ethis, croit au progrès, à l’humanisme, et pense qu’il est nécessaire que les étudiants des classes les plus défavorisées aient accès à la culture. Je regarde le soleil de presque automne à travers les vitres du Delmas. Les petits jets d’eau ; les pigeons qui roucoulent sur les rebords. On dirait le Paris de Doisneau, de Calet, de Léon-Paul Fargue. Les mots d’Emmanuel Ethis me mettent de bonne humeur. Métro. Je file au restaurant L’Ami Chemin, 31, rue Boulard, dans le XIVe, la cantine de mon éditeur Arnaud Le Guern. Il n’y attend en compagnie du copain Cyril Montana, écrivain à scooter, séducteur impénitent, frère de sortie et de cœur, et de Franck Maubert que je ne connais pas encore mais dont j’ai lu l’avant dernier roman Ville Close (Ecriture, 2013) que j’ai adoré. Je suis ravi de faire sa connaissance. D’emblée, le contact s’établit entre Maubert et moi. Il est fou de la pêche à la ligne ; il pêche dans le Loir. Nous parlons des sandres et des brochets qu’on capture, l’hiver ; des barbeaux poissons qu’il est si difficile de décoller du fond ; des perches épineuses comme des roses d’eau douce. Et de littérature, of course. La patronne, une élégante quinquagénaire, nous confie qu’elle chante dans une chorale du quartier. On se met tous à entonner des chants de l’Armée rouge. Rien de tel que les mélodies soviétiques pour sceller l’amitié. Un orage éclate. On se quitte à regret. Le soir, Cyril et moi, nous nous rendons au Salon d’Anaïs, boulevard Pereire, où est remis le Prix Paris à l’écrivain Catherine Enjolet pour son roman  Face aux ambres, aux édition Phébus … Anaïs et son mari sont des gens charmants, cultivés, éclairés et littéraires. Leur fille Léa, une très jolie brune, est adorable et talentueuse. Je croise les frères Bogdanoff, discute avec Gonzague Saint Bris et, très longuement, avec Jean-Noël Pancrazi, romancier élégant et sensible, ancien critique littéraire au Monde, et avec Thierry Clermont, critique au Figaro. Il est tard. Ma thébaïde du boulevard Voltaire m’attend. Je m’écroule sur le canapé. Le soleil d’automne me réussit, lectrice, ma muse exclusive.

                                       Dimanche 28 septembre 2014.