Mille cent quarante-trois pages. Un pavé dans la bonace de la rentrée littéraire. Yann Moix vient d’écrire un ovni en prose. Un livre essentiel.
Il serait vraiment regrettable de ne juger le dernier roman de Yann Moix qu’à son poids, qu’à sa forme monstrueuse. Mille cent quarante-trois pages, ce n’est pas rien. Un sacré pavé dans les eaux souvent stagnantes de la rentrée littéraire. Monstrueux, l’objet l’est par sa pagination, son poids, c’est indéniable. Mais il est aussi et surtout monstrueux dans son expression littéraire intrinsèque. Monstrueux comme l’est Le Voyage au bout de la Nuit, de Céline, Ulysse, de James Joyce, les Écrits intimes, de Roger Vailland ou les œuvres complètes de Henry Miller. Monstrueux car tout en excès, en lyrisme, en folie, extrême folie, rythmes changeants, style sans cesse renouvelé, surprises à chaque page, personnages hauts en couleurs, totalement allumés. Ce roman de Yann Moix est un ovni, comme le sont tous les chefs-d’œuvre. Et, pesons nos mots, Naissance en est un, de chef-d’œuvre. Un livre essentiel, un livre à baroufle médiatique (comme le furent ceux de l’excellent Michel Houellebecq et, en d’autres temps, du sulfureux Raymond Radiguet) mais pas seulement, un livre marathonien et tout en souffle (comme certains livres de Paul Léautaud ou d’Ezra Pound) mais pas seulement, un livre de fou, dadaïste, métaphysique, obnubilant (comme certains opus de Francis Picabia ou de Philippe Soupault) mais pas seulement. Tout est dans le «pas seulement» en fait. Car ce Naissance est réellement indéfinissable et totalement nouveau. C’est un très grand livre. Le narrateur de Yann Moix y raconte sa naissance, les maltraitances de son père, violent, mauvais comme une teigne, sadique, et d’une mère qui ne vaut guère mieux si ce n’est qu’elle détient un peu moins de force physique. Le pauvre petit ne doit son salut qu’à son parrain, le résolument fou, génial, ami des arts, des lettres, des désaxés, l’incroyable Marc-Astolphe Oh. Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre. Les noms de famille à eux seuls sont des petits bouts de poésie, de nouveauté, d’une incroyable fraîcheur inventive. Il y a également dans ce roman une tristesse, une mélancolie, une dépression, un désespoir sans fond, le tout contrebalancé par une drôlerie et un humour épatants. Toute l’histoire est sous-tendue par une longue réflexion sur l’antisémitisme; c’est poignant. Adorons aussi la culture rock et musicale de Yann Moix: ses pages sur Brian Jones sont d’une justesse inégalée.
PHILIPPE LACOCHE
«Naissance», Yann Moix, Grasset, 1143 p.; 26 euros.