« Houellebecq ne ment jamais. Jamais »

                                  Voilà ce qu’estime Benoît Delépine, rencontré devant une bière fruité consommée à la terrasse d’un café de Lille, juste après la projection en avant-première de «Near Death Experience». Rencontre. Et des propos excusifs par certains aspects, rien que pour toi, lectrice de mon blog. Et surtout, cours voir (au ciné Saint-Leu, à Am

Benoît Delépine, lors du débat  après la projection du film.

Benoît Delépine, lors du débat après la projection du film.

iens, à partir du mercredi 17 septembre) ce film génial, sincère et politiquement décapant.

Qui est à l’origine de l’idée maîtresse de ce film ? Gus ou vous-même ?

A l’origine, c’est un article paru dans Aujourd’hui. Nous étions éloignés, pendant les vacances. Mais nous l’avons lu en même temps. Ca racontait l’histoire d’un mec qui était parti pour tenter de se suicider dans la montagne Sainte-Victoire et qui, finalement, avait vécu quatre mois dans la nature ; il n’était pas parvenu à se suicider, ce grâce à une messe qui se déroulait dans un village. Il n’était pas passé à l’acte. Il avait repris goût à la vie, mais il avait zoné dans la montagne. Et il était revenu chez lui. On ne sait pas ce que le type est devenu. Mais Gus et moi, on s’est dit que c’était une belle idée de départ pour un film. La seule chose qu’on savait c’est qu’on voulait faire un drame. Pas une comédie. Nous voulions faire un film plus fluide qui ne soit pas – même si on aime la comédie – une succession de gags, de situations cocasses. Même si c’est marrant, on perd inévitablement en fluidité. On est moins dans la fluidité ; nous avons fait de bons films mais qui sont souvent chaotiques. Là, on voulait faire quelque chose de fulgurant, qui touche, ce sans être pollué par des gags, même si on ne peut pas s’empêcher de distiller un peu d’humour noir. Nous avions travaillé sur un autre film qui ne s’est pas fait. Comme on a Groland, on ne peut tourner que l’été. On était malheureux de ne pas avoir fait l’autre film ; on est donc revenus à ce fait divers. On a commencé à écrire ; on en en parlé à l’acteur qui devait faire le film précédent. Il ne le sentait pas ; il n’avait pas envie de faire ça pour x raisons personnelles.

Qui était cet acteur ?

Il s’appelle Jean-Roger Milo. C’est un super acteur, mais il n’avait pas envie. Et on tombé au moment où Michel Houellebecq était de retour d’Irlande pour sortir son recueil de poèmes. On avait gardé le contact qu’on avait eu avec lui lors du film Le Grand Soir (où on lui avait proposé un rôle qu’il était sur le point d’accepter), on s’est dit : « C’est lui qu’il nous faut car il a tout ce qu’il faut pour donner un mystère supplémentaire à l’ensemble. » Ca s’est fait de façon aussi simple que ça.

C’est un film très poétique, mais aussi très philosophique et très politique. Ce sont des conditions de travail générées par la société capitaliste qui conduisent Paul (Houellebecq) au désespoir. Que pensez-vous de cette analyse ?

Oui, c’est un personnage déplacé. Il travaille pour France Télécom. Ces salariés étaient des gens qui travaillaient avant aux PTT, qui faisaient certains types de travaux, et qui ont été trimballés de département en département. Ils étaient postiers ; ils revenaient dans des bureaux, au service commercial. Et notre Paul, lui, il se retrouve sur une plateforme téléphonique. C’est ça qu’on voulait montrer : les gens qui aimaient leur boulot, pouvaient être trimballés par une DRH et se retrouver dans des boulots qui ne leur correspondaient pas et ça devenait pour eux invivable.

Vous avez écrit, Gus et vous, tous les dialogues et tout le monologue formulé par Houellebecq. Comment avez-vous fait pour parvenir à une telle fluidité, une telle cohérence ?

C’est selon nos problèmes personnels. Pour le couple, c’était plutôt Gustave. Moi, c’était plutôt sur le grand-père, la dégénérescence. C’était des choses qui nous touchaient. En abordant chacun de notre côté les sujets qui nous tenaient à cœur, finalement, nous étions dans la même problématique. C’est vrai que c’est un film existentiel, sur l’existence : « Qu’est-ce qu’on fout là ? » Sur l’écriture, quand nous avons eu la certitude que Michel acceptait de faire le film, nous nous sommes attachés à l’écriture, en bénéficiant de ses conseils. Nous avions même pensé inclure des morceaux de ses textes. Il ne voulait pas ; il souhaitait ne faire que l’acteur. Nous lui disions que nous voulions faire un film poétique et que ses textes seraient les bienvenus. Il nous a répondu : « Pour être un poète, il suffit de dire sa vérité. » De ce fait, nous sommes allés à fond dans ce qu’on pensait, sans affèterie. On ne s’est pas caché ; on a pris nos cas et on a tout balancé sur la table. En le côtoyant, je sais maintenant que ce qui fait la force de Houellebecq, c’est qu’il ne ment jamais. Jamais. C’est pour ça que parfois, il y a des silences étonnants dans ses interviews ; il cherche le bon mot. Il cherche à décrire vraiment ce qu’il ressent le plus sincèrement et le plus honnêtement. Nous avons donc essayé, pour l’écriture du texte, de suivre son conseil.

Ce texte il eût pu l’écrire. Vous êtes parvenus dans votre texte à distiller tout le désespoir qui affleure dans toute son œuvre.

C’est aussi parce qu’on a le même âge que lui. On a vécu des expériences similaires…

La scène avec les petits coureurs, c’est génial !

Oui, les petits coureurs… Je pense que ça a dû plaire à mon frère car avec lui on jouait aux petits coureurs avec des billes des après-midis entières. Je pense que Houellebecq ne connaissait pas le jeu. C’était la première fois qu’il y jouait. Mais pour le reste, on avait tout en commun, Michel et nous.

Gus et vous, connaissiez-vous bien l’œuvre de Houellebecq avant d’écrire ce film ?

Gustave, je ne suis pas certains qu’il ait lu un de ses livres. Moi, je les ai tous lus. Mais je n’ai aucune mémoire des titres. Mais je me suis interdit de les relire pour faire le film. Un moment, je lui ai envoyé un mail en demandant s’il ne trouvait pas que les monologues n’avaient pas l’air d’être du sous-Houellebecq. « Non, non, continuez ! Ca n’a rien à voir », nous a-t-il répondu.

Pourtant, l’osmose entre la tonalité du film et celle de l’oeuvre de Houellebecq est parfaite.

Nous l’avons rendue en langage cinématographique et peut-être que pour un écrivain, ce n’est pas si simple que ça. Nous avons voulu donner un côté littéraire ; on est dans le cerveau de quelqu’un (et de plusieurs personnages). Ce qui se passe dans son cerveau est produit par la voix off. On approche la littérature mais on apporte le visuel qui génère d’autres idées.

Reconstituer sa famille à l’aide de pierres empilées, c’est un symbole très fort. Qui est à l’origine de cette idée ?

C’est Gus qui a eu cette idée. Moi, j’ai eu l’idée de l’ombre. Ca, ce sont des idées de cinoche.

Et l’avion qui traverse le ciel juste au bon moment, était-ce réellement un hasard comme vous le disiez lors de la conférence de presse ?

En fait, j’ai un peu menti. En fait, il n’est pas passé à ce moment précis. On a triché avec des effets spéciaux ; on l’a mieux placé dans le tempo du film. Il y a eu le truc à la con… Quand il y a le morceau de Black Sabbath et que Paul joue avec sa cigarette dans la nuit, il avait un poil de nez monstrueux qui prenait toute la lumière. Et comme le plan dure hyper longtemps, on s’est dit que le poil de nez allait perturber toute l’ambiance cinématographique ; donc on a éliminé le sacré poil de nez par un effet technique.

Le physique de Houellebecq fait vraiment penser à celui de Céline et à celui d’Artaud.

Parfois, il y a une tête d’une force. Whoua !… C’est carrément un grand acteur. C’est un grand acteur pour une raison simple. Il m’a dit : «  Quand on démarre une séquence, il y a un grand calme qui s’installe qui s’installe en moi. » Alors que chez la plupart des comédiens, c’est un grand stress qui s’installe quand on dit « Action ! ».  Tu te dis que si tu merdes, c’est foutu ; il y a donc une grande nervosité qui s’installe. Forcément, même si tu as bien appris ton texte… Lui, Michel, il a ça naturellement… un calme total l’envahit et il parvient à faire ce qu’il a fait dans le film. C’est fou !

On a vraiment l’impression que cette histoire aurait pu lui arriver. Le personnage c’est presque lui.

Dans les interviews, il dit que le personnage, Paul, ce n’est pas lui. Dans L’enlèvement de Michel Houellebecq (N.D.L.R. : un téléfilm de Guillaume Nicloux programmé il y a peu sur Arte), c’est son propre rôle. Mais il joue quand même un rôle. Mais dans notre film, il nous a dit que s’il n’avait pas réussi dans l’écriture, « ça aurait pu être moi »… On avait même écrit dans le CV du personnage qu’il avait une licence de lettres modernes ; et après il arrive aux PTT… Ca pourrait être lui ; il aurait pu se retrouver dans un cas comme celui-là. C’est ça aussi qu’il a aimé.

Avez-vous eu des difficultés pour le convaincre de faire le film ?

Ca aurait pu mal se passer. Il se trouve que ça s’est joué dans un bar. On est resté quatre heures. Peut-être que s’il ne nous avait pas bien sentis, il aurait coupé court. On est sorti quatre heures après… Il avait oublié sa serviette dans le bar. C’était un beau rendez-vous de travail…

Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos projets ?

On travaille sur un projet de comédie, mais on ne parviendra jamais à faire un truc qui amène des millions de spectateurs… On adore les films italiens, les comédies noires des années soixante. On aimerait bien faire un truc comme ça mais ancré dans notre époque. Après, c’est la difficulté d’écrire ; ça a l’air simple mais ça ne l’est pas du tout.  C’est une prouesse… C’est compliqué d’écrire une comédie quand tu as une dizaine de personnages, tout en restant dans une forme de fluidité. On sait que quand tu proposes un rôle à des acteurs, il faut que tous aient leur petit moment de gloire dans le film. Il y a quelque chose qui nous gêne… Réussir à faire une comédie fluide.

Votre film contient une lenteur très poétique.

Les gens doivent se demander quand ça commence… Mais c’était une volonté :  que tout à coup ça monte, ça monte…

                                   Propos recueillis par PHILIPPE LACOCHE