Ce petit essai dénonce les dérives ultralibérales des dirigeants de la SNCF; ils ont sacrifié ce service public sur l’autel de la rentabilité.
Ce livre n’est pas bon; il est excellent. Pourquoi? Parce qu’il dépasse très largement le thème – essentiel, pourtant – de la SNCF, des buffets de gare abandonnés, des lignes supprimées, des voyageurs punis et pris en otage par la politique ultralibérale des hommes politiques et des directeurs de la Société nationale des chemins de fer français. La nostalgie des buffets de gare, de Benoît Duteurtre, détient une dimension universelle. Il dénonce, avec humour, nostalgie parfois, les dérives de notre société mondialisée à outrance, ridiculement moderne et marchande, européanisée par les marchands du temps. On ressort de ce délicieux petit essai à la fois conforté et joyeux car on se dit qu’on n’est pas le seul à penser ainsi, et imbibé d’une nostalgie acidulée, citronnée qui, car doucement révoltée, n’est pas si désagréable. Comment ne pas se souvenir des lignes poétiques, bucoliques qui serpentaient entre Laon et Liart, traversant des Ardennes plus
rimbaldiennes que nature. On pouvait y fumer tranquillement sa cigarette de tabac brun en rêvant à Charleville, la tête embarquée par ce bateau ivre cahotant. On ouvrait les vitres. Les odeurs des traverses et du ballast se mêlaient à celles des vaches, laiteuses à souhait. Ces petits tunnels qui perçaient des collines fessues des Rubens, si françaises, qui nous effrayaient bien plus que les trains fantômes des forains moustachus. Le monde d’aujourd’hui n’a plus d’odeur; de poésie non plus. Les buffets de la gare où l’on eût pu croiser un Mac Orlan, un Hardellet, un Calet égarés, ont été fermés. Des manières de galeries marchandes standardisées, américanisées, les remplacent. Les gares se sont transformées en aéroports; on n’a plus le droit d’y perdre son temps sans acheter de la marchandise. C’est dégoûtant, toute cette consommation. Où est donc notre chère SNCF aussi publique, ponctuelle, caressante et douce qu’une fille, encouragée au sortir de la guerre par de Gaulle et les communistes. Les nouvelles gares proposées par les libéraux de la SNCF sentent «la marque et la mort»; tout y est aseptisé. Il n’y est plus jamais question «de pas perdus». C’était beau et poétique, pourtant les salles des pas perdus. Quelqu’un qui perd son temps et ses pas n’est pas un bon consommateur. Les gares sont devenues des centres commerciaux et des centres d’affaires. Margaret Thatcher, en Angleterre, et Emmanuel Macron, en France, ont tout fait pour libéraliser la circulation des autocars (chez nous contrôlée par l’État depuis le décret-loi de 1934). C’est du propre. La politique de la SNCF est à l’image de celle pratiquée par cette pseudo-gauche qui ne cesse de démanteler le service public. Oui, c’est du propre…
PHILIPPE LACOCHE
La nostalgie des buffets de gare, Benoît Duteurtre, Manuels Payot; 110 p.; 14 €.