« Je ne suis pas très underground comme garçon »

Voilà ce que révèle l’excellent Alex Beaupain dans l’interview qu’il nous a accordée à Breteuil, dans l’Oise, juste avant son concert dans le cadre du Picardie Mouv’.

Les arrangements de votre dernier album sont très différents de ceux de vos précédents disques. Pourquoi?

Les chansons sont de la même veine. Ce sont des chansons sentimentales ou des chansons d’amour, déclinées sous plusieurs angles. C’est ce que je raconte dans mes albums depuis quatre albums. Simplement, cette fois-ci, j’avais envie de co-réaliser l’album. Je me suis toujours très impliqué dans la réalisation de mes albums. Jusqu’ici, quand je choisissais un réalisateur, je lui laissais le volant en matière d’arrangements. Là, je voulais donc co-réaliser avec un garçon, musicien, qui s’appelle Nicolas Fiszman

Alex Beaupain, auteur-compositeur-interprète, Breteuil, Oise. Novembre 2013.

. J’avais envie que l’album me ressemble tant au niveau des chansons que de la façon dont elles étaient arrangées. Ainsi, il y a sur cet album des choses très variées, plus variées qu’avant, donc plus variété quelque part. Parce que je déplorais toujours dans mes albums précédents que ce soit très joli, très bien fait (j’adore le travail de mes réalisateurs précédents), mais peut être trop élégant et de bon goût. (Dans le sens où, parfois, on s’interdit de faire des choses car on a peur que ça sonne trop années 80. ) J’avais une façon de chanter qui était beaucoup plus maniérée. On faisait beaucoup de prises; la voix était donc très juste, mais je pense qu’on perdait beaucoup en intentions et en émotions sur la voix. Là, je voulais ne rien m’interdire. Il y a des choses très variété, et même un solo de synthé sur un morceau. (Ce qu’on ne fait plus aujourd’hui car on trouve ça terrifiant; moi, j’aime bien; je trouve ça joli.) Il y a même des espèces de pêches de cordes un peu disco sur la chanson « Pacotille ». J’avais aussi envie de me libérer un peu plus vocalement. Et comme je venais d’entreprendre une tournée assez longue, plus longue que les précédentes, ça m’a permis d’accepter qu’on pouvait ne faire qu’une prise voix pour une chanson à partir de l’instant où on estimait que l’émotion était là. Même si techniquement la voix était imparfaite. (Ce qui est souvent le cas chez moi.)

Donc un album plus variété, plus grand public.

Oui, c’est ça. Je le voulais. Les chanteurs que je préfère, ce sont des chanteurs populaires : Alain Souchon, Julien Clerc, Serge Gainsbourg (en a été un même si, chez lui, ça a pris beaucoup de temps), Alain Chamfort, Etienne Daho, etc. Avant, j’avais un côté plus auteur. Cela ne venait pas forcément de mes chansons, mais plus du fait que j’avais beaucoup travaillé pour le cinéma, pour le cinéma d’auteur. En fait, mes chansons sont beaucoup moins intellos qu’il n’y paraît. Elles sont simples; j’essaie de faire en sorte qu’elles soient bien écrites, ça c’est la moindre des choses. Je ne me sens pas très underground comme garçon; je pense même que je le suis pas du tout.

Pas underground, certes; cela n’empêche que vos textes sont particulièrement soignés.

Je crois que c’est la moindre des choses. J’ai mis longtemps à avouer que je voulais faire ce métier. Les chansons que j’écrivais au début, je ne les trouvais pas bonnes. Je les trouvais trop mauvaises pour mériter d’être entendues ou de figurer sur un disque. Ma première inspiration, c’était les chanteurs qu’écoutaient mes parents. Les grands anciens : Trenet, Brel, Barbara, etc. Trénet, c’est le chanteur de mon papa; ce que j’aimais chez lui c’est sa façon très simple de faire sonner le français. Pour moi, Trénet c’est le premier chanteur pop en France. Il a apporté des rythmes d’outre-Atlantique, le swing en l’occurrence; il a fait en sorte que le français puisse marcher dessus. Il a montré que le français pouvait sonner sur des rythmes anglo-saxons. Ensuite, j’ai acheté mes propres disques. Au collège, j’avais deux idoles : Renaud et Etienne Daho; c’est un peu le grand écart. D’un côté, le minet Bc-Bg, très pop, très variété, un peu méprisé avec son côté Top 50; de l’autre, Renaud le titi parisien, un l’héritier de Bruant, Brassens, Hugues Aufray. Bizarrement, chez mes parents, il était plus facile d’écouter Renaud qu’Etienne Daho; pourtant, c’était Renaud le rebelle. J’ai pris des choses chez ces deux artistes : chez Daho, écrire légèrement des choses graves; écrire de vraies chansons de variété. Chez Renaud, c’était le personnage qui m’intéressait; il ne chante pas forcément très bien; ses musiques ne sont pas extraordinaires mais sa personnalité emporte tout. C’est incroyable. En fin de collège, je découvre Serge Gainsbourg, dont j’achète l’intégral en cassettes. C’est un choc. Je me retrouve devant ce qu’on peut considérer comme une oeuvre. Et jusqu’à présent, je n’avais pas l’impression qu’on pouvait faire oeuvre de la chanson. Pourtant, il se défendait de cela en disant que la chanson était un art mineur. S’il a quelqu’un qui a bâti une oeuvre, c’est bien lui. Ce fut un choc pour moi grâce à sa façon d’écrire des textes, sa façon d’appréhender la modernité en musique. Sinon, il y a plein d’autres artistes que j’aime. J’achète dix CD par mois. Beaucoup de choses françaises : Dominique A, Murat, Bashung, Chamfort…

Le collège, c’était à Besançon?

Oui. Je suis venu à Paris après le bac. Je venais d’avoir mon bac; j’avais 17 ans ou 18 ans. Je suis venu à Paris pour faire sciences po. On peut dire que c’est formidable de faire science po, mais moi, les études et l’école m’ont toujours profondément ennuyé. J’avais une amoureuse à l’époque, dont la grande soeur avait fait ça; on avait donc un modèle qu’on pouvait suivre. Et tous les deux, on avait envie d’habiter ensemble. Le meilleur moyen d’habiter ensemble, c’était d’étudier ensemble. A partir du moment où mes parents ont subventionné ces études-là, je me suis senti dans l’obligation d’aller jusqu’au bout. On a donc fait science po, ma fiancée et moi, pour cette raison; pour habiter ensemble. Ensuite, j’ai eu 10 sur 20 tout au long de ma scolarité. J’ai été diplômé. Ma mère avait trois enfants; elle était institutrice. Mon père était cheminot. On était de classe moyenne. Dès que j’ai eu mon diplôme, j’ai avoué à mes parents que je voulais être chanteur. Ils n’ont pas fait de crise, mais ils m’ont dit : « Maintenant, tu t’occupes de toi. » J’ai donc fait des boulots.

Et comment s’est faite la transition vers le métier de chanteur?

J’ai commencé très tard; je n’ai pas eu de groupes au lycée. En revanche, j’ai toujours voulu être chanteur solo. Que ce soit mon projet à moi, avec des musiciens qui vont, qui viennent; mais ils me sont plutôt fidèles car j’aime cette idée de fonder une troupe. Mais j’avais toujours eu l’idée que c’était moi, que c’était mon projet, que c’est moi qui décidais. L’idée du groupe, ça me terrifiait. Je suis très démocrate dans la vie, mais je pense que dans le cadre d’un projet artistique, il faut être autoritaire et dictatorial. Après j’ai commencé à faire des concerts dans des petits endroits; il n’y avait personne, que des amis. A Paris. J’avais la chance, à 17 ans, d’avoir rencontré Christophe Honoré; quand il écoutait mes premières chansons, et je lisais ses premiers scénarios. Ni lui ni moi n’étions quelque chose. Il venait du fin fond de la Bretagne; moi je venais du fin fond du Doubs. On a fait nos premières armes ensemble; il m’a permis de faire la musique de son premier film. Il a quatre ans de plus que moi; il était arrivé à Paris un peu plus tôt. Il m’a beaucoup motivé. Après, j’ai travaillé trois ans sur mon premier album, grâce à des gens qui m’ont fait confiance, qui m’ont produit dans leurs studios. J’ai fini par vendre mon premier album à l’âge de 30 ans à une maison de disque qui était Naïve. Pour le premier album et pour Chansons d’amour, j’ai travaillé avec Frédéric Lo. J’adorais ce qu’il avait fait avec Daniel Darc, l’album Crèvecoeur. J’ai trouvé ça sublime. Quand on a fait Chansons d’amour, il s’est agi d’arranger les chansons. Naturellement, on est allé vers lui. Il a accepté de le faire pour peu d’argent. On a fait le deuxième album.

Vos textes cernent la relation amoureuse; ils sont très stendhaliens.

Ce n’est pas tellement volontaire. Les premières chansons que j’ai faites et que j’ai trouvé intéressantes, étaient des chansons d’amour. Et j’ai essayé d’écrire des chansons engagées.

La chanson « Au départ » est magnifique.

Ce n’est pas une chanson engagée. Ca reste une chanson d’amour.

Il y a quand même quelques petites piques.

Oui, c’est vrai.

Un clin d’oeil à votre grand-père cégétiste?

Sans doute. A mes parents aussi qui ont été des déçus de mai 1981. J’ai essayé de faire des chansons engagées frontalement un peu primaires, ça n’allait pas; ça ne marchait pas. Je me suis donc dit que j’étais un chanteur sentimental. Je me suis dit qu’il fallait que je sois un chanteur qui chante des chansons d’amour et d’autres choses. Il y a donc cette chanson qui parle d’amour et de politique. J’ai essayé d’en écrire des plus sociétales; d’autres parlent d’amour et du temps qui passe. Et que ces chansons d’amour ne soient pas sur le même registre; j’ai essayé d’en écrire des méchantes, des cyniques, des profondément désespérées, des joyeuses. Varier les angles.

La part d’autobiographie est-elle importante dans vos chansons?

Oui, il y a toujours une très large part d’autobiographie. Même les plus tristes; même les plus sexuelles.

Certaines sont vraiment très tristes.

Parfois je me sens très très triste. J’ai écrit sur des deuils aussi. Ce sont des expériences vécues (sinon, ce serait obscène). Mon amoureuse avec qui j’ai fait science po est morte quand j’avais 26 ans; c’est sur ce drame que j’ai écrit les premiers chansons que j’ai trouvé intéressantes. Tout ça est souvent très autobiographie même si ça vie n’est pas aussi palpitante que ce qui est raconté. Dans certaines chansons, j’ai été obligé d’exagérer un peu pour que ça devienne intéressant. Sur mon dernier album, il y a la chanson « Je peux aimer pour deux », une sorte de grande chanson masochiste. Je n’ai jamais vécu ça; peut-être que je le ferai un jour. Il m’est arrivé de ressentir ce sentiment de soumission qu’on peut avoir dans certaines relations. Après j’extrapole pour faire quelque chose d’un peu lyrique. Car la petite chanson anecdotique ne m’intéresse pas. On est obligé de dramatiser. J’ai écrit une chanson qui s’appelle « Je t’ai trompée sur toute la ligne »; je n’ai pas couché avec tous ces gens. Mais ça part tout de même de quelque chose d’un petit vrai. Voilà. En revanche, je veux que ça parte toujours de quelque chose d’autobiographique et de sincère. Sinon, j’ai l’impression de mentir et ça ne m’émeut pas.

Vous aimez la lecture, la littérature. Quels sont vos écrivains préférés?

J’ai d’abord lu Victor Hugo car il est né, comme moi, à Besançon. A 11 ans, j’ai lu Les Misérables. Ca m’avait beaucoup impressionné. J’ai lu beaucoup d’auteurs classiques. J’ai découvert par une ami, John Fante. Ca m’a ouvert des visions extraordinaires. Grâce à lui, j’ai compris qu’on pouvait écrire des choses méchantes, rudes. C’est grâce à lui que quelque fois, je suis méchant dans mes chansons. Il y a une violence et une modernité dans son écriture. Au collège, on lit des choses très lisses, qu’on nous dit de lire. Grâce à John Fante, j’ai lu des choses moins lisses. J’ai lu ensuite Henry Miller, Bukowski. Beaucoup d’Américains. Bratigan. Ces dernières années, à la rentrée littéraire, je me force à lire quelques français. Car je suis le premier à dire : « Il y en a marre de dire qu’en musique, il n’y a de bien que les anglo-saxons, et nous on est des merdes… ». Donc, il faut être cohérent; il fallait que j’applique ce raisonnement à la littérature. J’ai découvert Annie Ernaux, une romancière extraordinaire, très ample; Jean-Paul Dubois; Tristan Garcia…

Quels sont vos projets?

Je continue la tournée, et j’écris beaucoup pour d’autres artistes; ça me repose de moi-même. J’écris les textes et travaille avec des compositeurs; ça m’intéresse. Il y a plein d’auteurs qui écrivent pour les autres comme s’ils écrivaient pour eux. J’essaie de faire du sur-mesure. Je vais me remettre à écrire des chansons pour moi. J’ai des projets… des spectacles complètement zinzins qui ne verront peut-être jamais le jour. J’ai écrit une espèce d’opérette. J’aimerais que mon prochain album sorte à l’automne 2015; il ne faut pas trop traîner…

Propos recueillis par

PHILIPPE LACOCHE