Mauro Smerghetto, directeur du centre régional du livre et lecture de Picardie (CR2L).

 

Tentative de suicide à 140 km/h sur une route départementale

Si je vous disais avec qui, vous seriez surpris. Très surpris. L’autre nuit, je suis monté dans une Mustang au côté d’un homme élégant. J’étais à l’avant. À l’arrière, une très jolie dame blonde à l’opulente chevelure qui avait bu quelques verres d’un Médoc remarquable. Et une jeune fille, douce et belle comme une aube qui se fût levée sur la raffinerie de Tergnier (Aisne). «Tu n’as pas peur?», me demanda la dame blonde en pressant mon épaule de sa main baguée et érotique. «Je n’ai plus peur de grand-chose.» J’eusse pu mentir; je ne mentais même pas. Ce n’était pas cette pointe à 140 kilomètres/heure dans ce magnifique et rugissant bolide sur une minuscule route départementale qui allait me foutre la trouille. Je n’ai plus peur que d’une chose: oublier un jour les rires, les corps, les odeurs des filles et des femmes qui sont passées dans ma vie. C’est mon angoisse. Cent quarante kilomètres heures, c’est petit, minuscule, à côté des longs cheveux et des plumes des boas que l’on retrouve sous les meubles quand on fait le ménage, et que la belle s’est fait la malle. C’est bien quand même, la Mustang, la nuit. Grisant. Je repensais à Roger Nimier (dont j’adore l’œuvre rapide et teigneuse; mort au volant de son Aston Martin DB4 le 28 septembre 1962 à La Celle-Saint-Cloud; l’adorable blonde de derrière eût pu être ma Sunsiaré de Larcône) et à Albert Camus (dont j’aime si peu l’œuvre humaniste; mort au volant de sa Facel-Vega FV3B le 4 janvier 1960 à Villeblevin, dans l’Yonne), à Roger Vailland (que le vénère; mort d’un cancer des poumons à Meillonnas (Ain) le 12 mai 1965; sa voiture française - le communisme contraint d’acheter français - occupée par de plantureuses putains et de délicieuses petites gouines).De ces écrivains, nous en avons parlé, bien sûr, ce midi de février lorsque j’ai déjeuné (anguille fumée sans pyralène, salade) avec Mauro Smerghetto, le cultivé et très fin nouveau directeur du Centre régional livre et lecture (CR2L Picardie).Sache aussi lectrice, que je viens d’écrire mon premier texte inédit pour le blog que je tente d’alimenter pour la revue La Règle du jeu. J’ai nommé cette manière de haïku (moi qui déteste ce genre de sushi littéraire) «Petit soleil de merde». Et j’ai prévenu Lou-Mary qu’elle pouvait s’en délecter. Elle l’a bien mérité, ma grande didiche.

Dimanche 4 mars 2012.

Des rires qui s’éteignent » - Editions Ecritures

 

Il y dans ce dernier roman de Philippe Lacoche une écriture qui opère sur la page comme une sorte de palimpseste. Une oeuvre dure, désenchantée, grattée et qui ébranle les certitudes comme un repentir persévérant. Une oeuvre à la fois mélancolique et alliant une fascination débordante pour le milieu « alternatif » et libertaire tel qu’il pouvait exister alors, dans les très lointaines années ’70, chez nous.

 

Le récit évolue à l’intérieur d’une ère tournée vers la contestation générationnelle d’alors et la tentation pour un penchant indicible de la « spiritualité » chamanique et envoutante de l’époque dans laquelle les personnages de Lacoche se heurtent et meurent inéluctablement.

 

L’oeuvre de Burroughs, Ginsberg et Kerouac, entre autres, hantent ce roman qui a, pour toile de fond non pas les lancinantes étendues de la province américaine, mais les départements Picards. La musique aussi.

 

Ici cheminent ensemble un improbable assortiment d’amis, d’aspirants artistes, arnaqueurs et toxicomanes en tout genre où les femmes prennent une place d’importance dans cette blafarde et provinciale Picardie des années ’70. Il y a Katia bien sûr mais, surtout, il y a Clara, libertine et romantique à la fois qui incarne le style de vie désenchanté et égaré si symptomatique de l’époque.

 

Un mix de charme naturel, de simplicité enfantine et d’élégante sophistication féminine.

 

Ces deux femmes n’y reviendront pas de ce voyage aux confins des abîmes.

 

Antoine, le personnage de Lacoche, non plus.

 

Tiens, Antoine justement, un héros remuant et stupéfiant de spontanéité, de liberté. De tristesse aussi.

 

Un Antoine qui nous fait penser à Antoine Doinel dans «Baisers volés

» (1968 justement !) et qui vit le temps dans un cycle qui n’est pas linéaire.

Les personnages de Lacoche vivent comme dans un double principe fait d’accélération et d’étirement. Il y a dans les affres de leur existence, des moments forts, attendus que Lacoche traite par ellipses en tenant son écriture hors-champ de l’histoire qu’il nous raconte.

 

La fin du récit, sonne comme un glas. Un aboutissement qui résonne dans notre esprit comme une réconciliation marquée par les notes ineffables de la musique partout présente.

 

L’écriture de l’auteur semble être placée ainsi entre deux portes, celle du passé et celle de l’instant présent, entre le souvenir et l’oubli, entre la vie et la disparition.

 

Le personnage de Lacoche, Antoine, semble vouloir nous accompagner jusqu’au bout de cet affaissement de l’existence, jusqu’au au seuil de ce languissant récit, de cette vie si adjacente à la notre et si abondante en tribulations ténues comme en tristesses ludiques. Une existence représentée comme une embrasure, qu’à jamais, Antoine renfermera inéluctablement à l’espérance et au bonheur.

 

Le style narratif que Philippe Lacoche utilise fréquemment dans ses écrits se retrouve magnifié dans «

 

 

Des rires qui s’éteignent

». Son seing acquiesce les inhabituelles péripéties littéraires usitées pour produire une émotion à partir de la simple réalité.

Un aboutissement magnétique et fascinant à la fois.

 

Les grands auteurs sont ceux qui imposent aux lecteurs, leurs illusions particulières. Leurs fourvoiements aussi.

 

Nous retrouvons du Maupassant chez cet auteur Picard, une sobriété des faits et gestes plutôt que l’explication psychologique. Une psychologie qui se cache dans cette histoire comme les destinées émaillent les existences, semblables à des métempsycoses.

 

Pour vivre mélancolique, vivons dissimulés, semble nous dire Lacoche.

 

Sous le registre dominant de la maladie qui tout emporte et qui tout annihile jusqu’à la mémoire, dans «

 

 

Des rires qui s’éteignent

» le registre dramatique l’emporte souvent.

Emouvant et vénéneux le roman décline à foison, la déraisonnable présence de la menace ou de la disparition.

 

Un regard pessimiste et angoissé sur les hommes et sur la vie. C’est encore une vision noire et désenchantée que l’auteur nous livre ici des rapports sociaux et personnels à l’égard de la folie qui n’est jamais loin.

 

Une folie qui, semblablement à la mort, rode à au coeur de ce récit : noir et vert à la fois…

 

La vision personnelle du monde qui s’en dégage dans «

 

 

Des rires qui s’éteignent

» et la maîtrise de son écriture, placent Philippe Lacoche aux premiers rangs des auteurs en Picardie et parmi les écrivains les plus marquants et novateurs… d’ailleurs.

Janvier 2012

 

 

 

Mauro SMERGHETTO

 

Directeur du CR2L – Picardie