Deux grands frères rock et les ombres des bordels des seventies

Slim Batteux, aujourd'hui, devant un carquois d'Indien. Chez lui, dans son appartement de la rue Diderot, à Vincennes, à quelques centaines de mètres du lieu de résidence de son ami Luc Bertin.

Slim Batteux, lors d’un concert à Charleville, dans les Ardennes. « J’égtais complètement bourré », reconnaît-il. D’où les bières sur l’orgue.
Les Brothers Mac Daniel avec (de droite à gauche), Luc Bertin, Slim Batteux, Jean-Pierre Josse (à la basse), Michel Girard (ba&tterie), Daniel Girard (guitare).

 Une grande pièce ovale baignée de lumière pâle. Une fenêtre large qui donne sur une rue de Vincennes, pâle elle aussi. Grise plutôt. D’un beau gris, doux et duveteux, comme seule la proche banlieue tranquille de Paris sait en produire. On se croirait dans un roman d’Emmanuel Bove, dans Mes amis ou dans Bécon-les-Bruyères. Nous ne sommes pas dans un roman de Bove. Nous sommes chez Slim Batteux, organiste, bassiste, choriste, multi-instrumentiste, l’un des meilleurs musiciens du blues et de la chanson française depuis des années. Slim et son copain Luc

Les Vizirs. Au centre, à la guitare, Slim Batteux. A droite, au tambourin, je crois recopnnaître mon copain Patrick Pain (qui deviendra par la suite chanteur de Up Session, puis de Purin) mais je n'en suis pas certain; il faut que je le lui demande.

Bertin, chanteur et pianiste, nous ont fait rêver, nous les petits Ternois des seventies, apprentis rockers. Eux, manières de grands frères doués, diplômés ès-rock’n’roll grâce à la base américaine de Crépy-Couvron, entre Laon et La Fère, où ils allaient s’approvisionner en 45 tours, avaient fondé un fantastique groupe de rhyth’m’n’blues, les Brothers Mac Daniel, avec lequel ils avaient fait fantasmer des centaines de minettes. En juillet1969, Slim et Luc mettent les bouts en Angleterre, en stop, façon beatniks. Puis se retrouvent à Paris, deviennent des presque clochards avant de rebondir comme musiciens de studio et de scène derrière les plus grands: Michel Jonazs, Johnny Hallyday, William Sheller, Ray Charles, Percy Sledge, Véronique Sanson, etc. Lorsque nous traînions dans les bordels de Tergnier, au cœur des seventies, le copains et moi, on ne cessait de nous parler d’eux et des Ricains. À la Huchette, la grande brune qui nous faisait des réductions, nous racontait comment, un soir bien arrosé, le Slim et le Luc avaient fait un quatre mains au piano. Boogie, rock’n’roll et rhythm’n’blues. J’étais heureux, ce samedi d’hiver, d’interviewer Slim chez lui, à Vincennes, comme j’étais heureux d’avoir interviewé Luc Bertin (qui lui aussi habite Vincennes, à quelques centaines de mètres de Slim) en2004. Je regarde Slim, avec sa bonne tête de Sioux. Puis, je regarde les villas de Vincennes, d’un gris doux comme les romans de Bove qui sont remplis d’ombres. Moi, mes ombres, ce sont mes souvenirs des seventies axonaises. Mes copains s’appelaient Fabert, Rico, le Colonel, Granger. Les bordels se nommaient La Huchette, La Loggia, Le Daguet. Certains copains sont au cimetière. Les bordels se sont transformés en épiceries ou en agences d’intérim.

Dimanche 29 janvier 2012.