« C’est un honneur d’avoir édité ce guide Picardie 14-18 »

 

Directeur de la collection Le Guide du Routard, Philippe Gloaguen explique pourquoi et comment il consacre une publicatio

Philippe Gloaguen présente le Guide du Routard.

n sur le centenaire du conflit mondial dans notre région. Sortie du guide : mercredi 11 septembre.

Pourquoi avoir édité ce guide du « Routard Picardie 14-18, Centenaire d’un conflit mondial »?

C’est une demande de la Région Picardie. Nous avions sorti, avec l’aide du Comité régional du tourisme (CRT), il y a quelques années, le premier Routard Picardie qui fut un succès, puisqu’il fut épuisé en quelques semaines. Le Guide du Routard est le seul guide qui fait une édition annuelle sur la Picardie. Face au succès et les amitiés liées avec des gens de la région, on nous a demandé de le faire. Je pense aussi que les valeurs que nous défendons au Guide du routard sont proches de ce que la Picardie voulait démontrer à travers ces lieux et ces événements. Je considère comme un honneur d’avoir édité ce guide Picardie 14-18. Je suis allé personnellement sur place, en Picardie, pour visiter les sites essentiels (la caverne du Dragon, l’Historial de Péronne, etc.). Je voulais m’imprégner des lieux. Je suis allé voir un avocat, l’un des grands spécialistes de la guerre de 14, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, qui a acheté une maison dans l’Aisne, près du Chemin des Dames. J’ai passé un weekend avec lui. On fait des visites. Le site qui m’a énormément ému, c’est la caverne du Dragon car il y a eu une sorte de pacification entre les soldats. Il n’y avait pas de haine. On ne se connaissait pas. Mon père m’a confié qu’à l’époque, on apprenait à l’école que les Allemands kidnappaient les enfants. En pays Bigouden, on n’avait jamais vu un Allemand. Pour inciter les gens aller combattre, il fallait bien trouver des arguments qui étaient enseignés. C’était un mensonge d’état pour la chair à canon. Par ailleurs, ce guide comprend des adresses de restaurants, etc. Je suis très fier de ce guide.

Quelle a été la genèse du projet et comment a-t-il élaboré dans le temps?

Comme je le disais, c’était une demande du CRT de Picardie. C’est à la fois un guide historique et touristique. L’idée était de faire découvrir aux nouvelles générations tous ces lieux de mémoire parce que la Picardie a été un terrain de souffrance. Et c’est en Picardie qu’on a pris conscience qu’on vivait une guerre mondiale avec la présence de soldats de très nombreuses nations : les Anglais, les Néo-Zélandais, les Australiens, les Chinois, etc. Le projet du guide a pris naissance il y a un an et demi. En ce qui me concerne, je ne vous cache pas que le Guide du routard est très sollicité. J’ai accepté de faire ce guide après réflexion d’une part parce que – en tant que fils d’instituteur – je trouve qu’il s’agit-là d’une guide d’enseignement sur la réalité, la bêtise des commandements, la chair à canons (une expression qui est née dans les tranchées), les fusillés pour l’exemple, etc. Autre raison de ma décision : à ce moment-là j’ai appris – je ne le savais pas – que mon père avait été un grand résistant (personne ne le savait dans la famille; il y a même un moment en Bretagne… -) C’est donc aussi pour rendre hommage à mon père que j’ai fait ce guide; il était né en 1909 et il a avait des souvenirs de la Première Guerre mondiale, tout gamin… L’autre raison : j’avais demandé l’ouverture des archives de Beauvais; nous avons eu une rencontre formidable avec le directeur des archives de Beauvais. On nous a mis en contact avec l’un des collaborateurs, Franck Viltart, historien, chargé de mission pour l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco des paysages et sites de mémoire de la Grande Guerre. C’est avec lui que l’on a fait ce guide. Il a été absolument génial et surtout très proche de ce qu’on voulait transmettre. Ce n’est pas qu’un historien érudit; c’est aussi quelqu’un qui raconte une histoire. Son but était de raconter cette guerre de souffrance dans laquelle s’affrontaient des égos.

Comme il est indiqué dans le communiqué de présentation, « cet ouvrage propose une lecture contemporaine des événements à travers dix itinéraires inédits « . Parlez-nous de cette démarche.

C’est un guide qui se veut aussi touristique; on propose effectivement dix itinéraires marqués dans le temps et à la fois historiques et géographiques.

Vous parlez aussi de rencontres avec « des passeurs d’histoire ».

Aux archives, ont été recueillis des témoignages de gens qui se trouvaient sur le terrain. Ce sont des témoignages réels, aux tripes, sur la vérité de ce qu’ils ont vécu.

Vous avez l’intention d’apporter un autre regard sur la Grande Guerre et particulièrement sur les batailles de la Somme et celles qui se sont déroulées en Picardie. Expliquez-nous cet « autre regard »?

En partant sur le constat que les Histoires ont été écrites par les vainqueurs, on a essayé de se dégager de ça de façon à ne pas avoir que des visions de morts et de cimetières. On s’est dit : « Les Français qui sont enterrés sur les champs de bataille, est-ce que ce sont des vainqueurs? » Ils ont d’abord souffert au premier chef.. Dès qu’il y a une guerre, je pense que c’est un échec de part et d’autre. C’est la preuve de l’incompétence des politiques. Par ailleurs, personne n’a évoqué la mentalité de Guillaume II. Est-ce que vous saviez que Guillaume II était handicapé? Il avait un bras atrophié; quand on est chef des armées c’est un énorme inconvénient. On ne peut plus tirer au fusil et on ne peut plus monter seul sur un cheval. C’était quelqu’un de très militariste, très agressif et emporté, à cause de ce handicap qui l’humiliait. Il n’écoutait personne; il était ingérable. La gare de Metz qui a été construite par Guillaume II, on trouve un quai haut et un quai bas. Les Allemands avaient fait un quai bas parce que quand Guillaume II arrivait, son cheval était amené et, du marche pied du train, il montait directement sur son cheval. Avec le passage du TGV Strasbourg, ils ont gardé le quai bas. J’ai demandé à l’un des responsables de la SNCF, il m’a répondu : « Parce que c’est historique. » Il y a très peu de gens qui connaissent cette anecdote. Tout ça pour dire qu’il n’y a pas eu que l’attentat de Sarajevo; il y a eu d’autres raisons comme ce handicap de Guillaume II qui a contribué à la déclaration de guerre. Résultat : on a signé la triple entente.

Il est indiqué que ce Guide du routard Picardie 14-18 est truffé d’anecdotes inédites.

Comme je vous le disais, je suis fils d’instituteur, et comme il y a souvent des textes un peu ardus, l’anecdote permet de raconter plus facilement l’Histoire. Et c’est une ouverture, une invitation pour aller se pencher dans des textes plus longs, plus établis. Est-ce que vous connaissez l’origine du mot baragouiner qui signifie parler d’une façon incompréhensible. Bara veut dire pain; gwin, le vin. Comme a beaucoup en première ligne les Corses, les Tirailleurs sénégalais et les Bretons en première ligne (non pas parce que les généraux étaient racistes mais simplement car ces soldats ne parlaient pas français; donc, ils ne pouvaient pas se révolter, et dire à leur copains : « Quelle connerie, la guerre! On n’y va pas… » Ils étaient isolés et n’avaient pas la possibilité de s’unir contre les officiers). La seule chose que les Bretons disaient sur le front : bara, du pain, et gwin, du vin.

Y a-t-il d’autres Guides du Routard consacrés à des événements historiques ou guerriers?

Il y en aura un autre. Celui-ci, Picardie 14-18 a été connu dans le monde de l’édition; on nous a donc demandé d’éditer le guide des 70 ans de la bataille de Normandie qui sortira l’an prochain. Historiquement, c’était quelque chose de fou. C’était la première fois qu’on voyait des Américains arriver dans cette région. On se souvient de leur puissance. On apprend que les Américains avaient une armée raciste dans laquelle les Noirs et les Blancs étaient séparés, ce qui a eu des conséquences énormes sur les champs de bataille.

Et dans le passé, y a-t-il eu des guides historiques ou consacrés à la guerre?

J’ai fait un tout petit bouquin pour la Normandie sur le Débarquement à l’occasion du cinquantenaire, en 1994. Ils nous ont demandé de le refaire mais d’une manière beaucoup plus étayée.

Ce guide Picardie 14-18 est donc, en quelque sorte le vrai premier de la série.

Oui, c’est le premier guide d’un événement historique majeur.

Consacrer un ouvrage à la plus grande boucherie de tous les temps, n’est-ce pas singulier pour le Guide du routard né dans la mouvance pacifiste soixante-huitarde?

Justement, c’est un honneur qu’on pense à nous car nous avons un angle de vue différent. Comme mon père, j’ai refusé deux fois la Légion d’honneur. On est assez sensible à la souffrance; j’ai eu la chance de beaucoup voyager dans ma vie. En 1992, j’ai été l’un des premiers journalistes à me trouver au Cambodge; première année d’ouverture. J’étais avec l’ONU; on a vu les exactions de Pol Pot. On ne peut pas aimer la guerre quand on voit des horreurs pareilles. Le message de ce guide Picardie 14-18 est étayé par des preuves. On prouve l’absurdité de la guerre, l’incompétence des généraux, les dérapages qu’il y a eus chez les politiques de tous bords. Autre anecdote : Bismarck, à la fin du XIXe siècle, passait ses vacances à Biarritz. Il a failli se noyer, et c’est un Basque, très costaud, maître-nageur, qui est allé récupérer Bismarck dans la mer. Il l’a sauvé; je m’interroge sur les conséquences du fait qu’on eût pu le laisser mourir. On aurait gardé l’Alsace-Lorraine. Or, l’une des raisons majeures de la Grande Guerre, c’était de récupérer l’Alsace-Lorraine qui nous avait été spoliée de façon abusive. L’histoire aurait pu être réécrite de façon beaucoup plus douce.

Quel est le tirage de ce guide?

Environ 30 000 exemplaires. Mais un guide comme celui-là, qui sera le premier du centenaire, il sera réimprimé en trois semaines.

Propos recueillis par

PHILIPPE LACOCHE

« Le Guide du routard, Picardie 14-18, centenaire d’un conflit mondial ». Hachette. 143 p.; 14,95 euros.