Son excellent dernier – et deuxième roman – est ancré dans les Sixties, le Berry et son cher Santerre où il réside.
Alain Lebrun nous raconte des histoires. Et on aime ça. Son deuxième roman, très réussi, nous transporte au début des années soixante. Sa narration prend naissance dans le Berry où il a longtemps travaillé et dont il est tombé sous le charme. D’emblée, l’intrigue est plantée. Deux familles, les Einègue
et les Accard, se détestent, se haïssent au plus haut point sans trop savoir pourquoi. Mais l’amour n’a pas de camp, pas de frontières, par patrie. Deux jeunes gens – Zaïna et Jacquelin – s’éprennent l’un de l’autre. Un amour fort les unit. Les parents de Zaïna ne supportent pas cette idylle : ils envoient leur fille dans leur famille, dans le Santerre profond afin qu’elle y oublie son Jacquelin, issu du clan honni. La famille d’accueil fait travailler la petite comme un animal. De l’esclavage. Le romancier décrit avec puissance et vérité le côté quasi sadique de ce couple de Thénardier ; pour ce faire, il prend parfois des accents dignes de Jules Vallès ou d’Eugène Sue. Zaïna ne tarde pas à prendre la fuite, se retrouve, de nuit, par un temps épouvantable, dans le village de Hyencourt-le-Grand (où réside l’auteur). Le garde champêtre la repère, veut lui venir en aide. Elle fuit encore, prend la direction de Bray-sur-Somme. Elle sera retrouvée, et accueillie avec humaniste et bonté par le maire du village de Pressoir, et son épouse, et vivra à leur côté des jours heureux, changeant son prénom singulier en celui, plus classique, de Suzanne.
Alain Lebrun en profite nous donner à voir cette époque en rupture. Le monde d’avant s’écroule. La modernisation apparaît. Les chevaux sont remplacés par les tracteurs. L’électroménager fait son apparition dans les foyers. Et les jeunes gens ne rêvent que d’une chose : échapper à l’emprise de leurs parents. Soixante-huit n’est pas loin. On sent ses frémissements jusque dans la Picardie la plus rurale. Il décrit avec une précision jubilatoire du battage du blé. Nul doute qu’il a dû utiliser là ses souvenirs d’enfant. Modernité encore : c’est l’époque des fusions des communes. L’union fait la force. Ablaincourt épousera-t-il Pressoir ? Cela ne va pas de soi ; chacun tient à son fief, à son clocher. A ses différences, mêmes infimes.
Alain Lebrun parvient avec des mots simples et des personnages bien dessinés, à faire passer l’Histoire à travers son histoire. En cela son roman est terriblement attachant, sincère et réussi.
PHILIPPE LACOCHE
Un souffle de liberté, Alain Lebrun, Marivole, coll. Année 60 ; 268 p. ; 20 €.