Nous avons rencontré Yann Moix à Paris. Il nous parle de ses débuts dans l’émission « On n’est pas couché » mais aussi de ses projets.
Depuis son arrivée dans l’émission On n’est pas couché, de Laurent Ruquier, aux côtés de Léa Salamé, sur France 2, Yann Moix est sous les feux de la rampe. Excellent romancier (il faut lire Anissa Corto et Naissance, deux livres essentiels qui témoignent de ses grandes qualités d’écrivain), cinéaste talentueux et drôle (le succulent Podium), il se révèle un intervieweur de haut vol, percutant, étonnant, tantôt cinglant, tantôt laudatif et passionné. Littéraire et bretteur toujours. Rencontre au Rouquet, sur le boulevard Saint-Germain.
Quelle est la genèse de votre arrivée dans l’émission On n’est pas couché ?
Tout commence en 1996. Laurent Ruquier m’avait demandé de venir participer à son émission sur France-Inter à l’occasion de la sorte de mon roman Jubilations vers le ciel ; à l’époque, son émission s’appelait Rien à cirer. Depuis ce moment, malgré quelques espacements dans le temps, j’ai toujours travaillé avec lui. Parfois, pendant des années, je ne l’ai plus vraiment vu. Dans les années 2000, il a fait appel à moi comme chroniqueur. De 2010 à 2014, j’ai participé à son émission On va s’gêner ! Puis, j’ai participé aux Grosses Têtes, l’an dernier, sur RTL. Un jour, il m’a demandé si j’étais partant pour On n’est pas couché. C’était il y a un an.
Est-ce que vous avez hésité ?
Pas une fraction de seconde ! D’une part, pour admiration pour Laurent ; d’autre part, c’est un poste qui ne se refuse pas.
Qu’est-ce qui vous intéressait ? Le fort impact médiatique ? Ou faire passer des messages, des idées ?
Faire passer des choses. C’est le service public. Mon idée ? Utiliser ma petite culture, et mon intelligence moyenne, mais personnelle, pour trouver des angles afin de défricher des aspects de l’actualité. C’est passionnant car dans une même émission, on peut trouver Alain Finkielkraut et Sylvie Vartan. Le grand écart, j’adore ça, moi qui aime autant Michel Delpech que Franz Liszt. J’adore à la fois Frank Zappa et Michel Delpech. Donc, ça me parle. Je peux, dans la même journée, regarder Les gendarmes de Saint-Tropez et lire du Heidegger.
On vous demande aussi des réactions et des commentaires sur la politique. Vous avez une bonne culture en la matière, mais ce n’est pas non plus votre spécialité.
C’est vrai, et ça se ressent. Au cours des quatre premières émissions, mes interventions sur la politique étaient surréalistes ; elles n’étaient pas dans le coup. Pour la première fois, au cours de la cinquième émission, Nadine Morano était ma première vraie interview politique. C’est quelque chose qui s’apprend ; je l’apprends sur le tas. Ca commence à venir. J’ai compris comment il fallait faire : il faut leur parler d’actualité. Si tu lis leur livre dans les détails, ce n’est pas super intéressant. J’ai également appris qu’il fallait oublier ses notes, les questions qu’on a préparées…
Comment analysez-vous votre rencontre avec Michel Onfray ?
J’ai des idées très claires là-dessus. Médiatiquement, il a gagné le combat, mais intellectuellement, je l’ai gagné. J’ai eu le tort de commencer par une agression. Mais je l’ai contraint, presque sans le vouloir, à découvrir une facette de lui, à la fois mesquine et glauque, que beaucoup de gens ont vue. Certes, il a gagné mais je lui ai quand même mis de bons bourre-pifs ! Il a pris de bons coups dans la gueule, mais, il faut être honnête, aux points, il a gagné. Mes questions étaient tout à fait correctes, voire même d’un très bon niveau. Mais j’ai eu le tort de choisir la forme de l’agression et de l’agressivité. Il s’est donc défendu, ce qui est normal. Mes questions étaient violentes, mais elles étaient aussi intellectuelles. Ses réponses étaient de la cuisine de chez Grasset. Donc ses réponses étaient indignes de mes questions. Il a donc gagné sur la forme, mais il a perdu sur le fond. Il s’est révélé ce que je pense qu’il est : un énorme réactionnaire qui n’est pas loin de coucher avec l’extrême-droite. Peut-être pas avec l’extrême-droite mais avec une droite dure. Moi j’adore les gens, quelles que soient leurs opinions, mais les gens qui assument leurs opinions. Hier, il y avait un mec de Valeurs Actuelles qui est pro-Zemmour à 100%, on a pu discuter. Tandis que Onfray n’assume pas ce qu’il est ; il n’a pas fait son coming out. Il est glauque ; ça se voit sur son visage qu’il y a un problème. Il n’est pas en accord avec lui-même. Il faut qu’il fasse son coming out et qu’il dise : « Oui, je suis de droite dure. » Il n’est pas de gauche ; il a le droit d’être de droite dure ce que lui reproche c’est de ne pas l’avouer. Je veux bien discuter avec un mec de gauche radicale, de droite radicale ; je suis d’une tolérance totale pour les idées.
Comment ça se passe entre Léa Salamé et vous ?
Léa, je l’adore car elle a été d’une immense gentillesse à mon endroit, tout comme Laurent l’a été. Ils ont tout fait pour m’aider. Léa m’a même proposé qu’on prépare les questions des politiques ensemble. J’ai refusé car je voulais me planter avec mes propres défauts. C’est une fille super généreuse, drôle. On se marre. Il y a une complicité entre nous ; ce n’est pas un truc artificiel ni fabriqué ; j’adore cette fille. Je vais vous dire un truc : il y avait longtemps qu’il n’y avait pas un duo qui s’entendait bien dans cette émission. La dernière fois c’était le duo Zemmour-Naulleau. Polony et Pulvar, s’entendaient bien au début après on sentait que c’était moins ça. Celui que j’ai préféré de toute l’histoire des chroniqueurs, c’est Naulleau. C’est le mec capable de dire à Jacques Attali : « Vous n’êtes pas un économiste. » C’est comme s’il avait dit à Georges Brassens : « Vous ne savez pas jouer de la guitare. » Il est fou à lier ! Je l’adore ; j’adore aussi Léa. J’adore Naulleau et Polony.
Vous avez signé pour combien de temps avec cette émission ?
J’ai signé pour trente-huit émissions, c’est-à-dire une année ; pour l’instant, je ne pense pas à l’année prochaine ; il peut se passer des milliers de choses. Ils peuvent en avoir marre ; je peux ne pas convenir. Moi, je n’ai aucun pouvoir ; je me plierai à leur décision. S’ils me reconduisent parce que ça s’est bien passé, je serai heureux. S’ils estiment que je n’ai pas été au niveau, je m’inclinerai.
Vous avez interviewé Michel Houellebecq avec beaucoup de pertinence, et vous nous avez envie de lire ou de relire Christine Angot.
Il faut toujours prendre la défense des écrivains dans une société qui les méprise, et parfois même, qui les hait. Les écrivains sont pour moi ce qu’il y a de plus précieux au monde. Un pays où il n’y a pas d’écrivains… une ville où il n’y a pas de librairies, c’est inconcevable. C’est là que la pensée a lieu. Quand Onfray a dit : « La pensée ce n’est pas pour vous », sous, prétexte que je ne suis qu’écrivain, c’est d’une bêtise abyssale car un écrivain pense. C’était terriblement stupide. Je pense que le problème de Michel Onfray c’est qu’il n’est pas très intelligent. (Ca vous pouvez l’écrire.)
Vous avez longtemps était feuilletoniste au Figaro littéraire. Vous continuez, dans l’émission, à interviewer des écrivains. Vous devez lire énormément ?
A cela s’ajoutent les séminaires que j’anime : sur Francis Ponge, sur Kafka… Les conférences sur Hiedegger après être sorti d’une émission avec Bigard. Et j’ai réalisé Podium.
D’où vous vient ce plaisir du grand écart ?
Le bonheur d’être sur terre.
Vous devez lire très vite.
Non, en fait, au contraire : je lis très lentement. Je suis d’une lenteur, comme lecteur ! Comme écrivain, je suis rapide ; comme lecteur, je suis lent. J’ai la même lenteur pour lire Heidegger que pour lire une interview de Michel Sardou ! Il m’arrive dans le cadre de l’émission, de suggérer à Laurent Ruquier et à Catherine Barma, un nom d’écrivain. J’ai une petite légitimité pour inviter un écrivain ; je pense que Laurent me fait confiance. Ce sont Laurent et Catherine qui dé
Yann Moix, à la terrasse du Rouquet, en octobre dernier.
cident au final. Le vrai chef, c’est Laurent. Il faut accepter qu’il soit le chef d’orchestre. J’aimais bien Aymeric Caron. Ca, c’est mon ouverture d’esprit car je suis symétriquement opposé à ce qu’il pense, mais j’adore ça. Quelqu’un qui en cohérence avec sa pensée, même s’il est très différente de la mienne, j’aime bien. Je n’aime pas les chiffres, il adore ça ; il est très très à gauche, une gauche même « tête à claques ». Il est pro-Palestinien d’une manière caricaturale, tandis que je suis plus souvent pro-Israël, il faut le dire. Il est clair qu’on n’est pas du tout sur la même longueur d’ondes. J’avais beaucoup de plaisir à l’entendre car une opinion qui n’est pas la mienne – comme on peut lire L’Humanité et Le Figaro dans la même journée – j’ai toujours plaisir à l’entendre. Comme dans un orchestre, chaque instrument vient jouer sa partition. Ce n’est pas parce que la contrebasse n’est pas mon instrument préféré qu’il n’en faut pas dans un orchestre. Aragon était communiste ; c’était un génie. Céline était collabo, c’était un génie. La littérature, c’est une ouverture d’esprit. Des salauds peuvent être des génies. Des mecs moralement acceptables peuvent être des médiocres. La littérature, par définition, est une ouverture totale. La magie de l’art c’est que des pourritures peuvent être des génies ; alors, tous les moralistes paniquent. Certaines personnes seraient effrayées en connaissant la vie intime de Roger Vailland. C’est le Sade du XXe siècle. Je ne suis pas homosexuel, mais je me suis aperçu un jour que la majorité des écrivains que j’aime sont tous homosexuels : Proust, Gide, Fassbinder et Pasolini. Ce sont les écrivains que je préfère au monde ; l’homosexualité est au centre de leurs œuvres. Je suis en osmose totale avec ces quatre génies qui sont homosexuels, mais le fait qu’ils soient homosexuels ne les détermine en rien ; il atteigne l’universalité par leur homosexualité. Le raisonnement est valable pour Sartre qui a défendu Staline ; et Sartre est un génie. L’ouverture, c’est la littérature.
Où en sont vos projets cinématographiques et littéraires ?
Je termine un film sur la Corée du Sud et la Corée du Nord où j’ai effectué plusieurs voyages. C’est un très long film. Et je prépare Podium II. J’ai terminé trois livres : un sur la Corée du Nord (un roman) ; un sur la Terreur (un essai) et un sur le Judaïsme (un essai). Et j’ai fait une suite à Une simple lettre d’amour qui va s’appeler Neuf ruptures et demie. (C’est la première fois que je l’annonce.) Le titre me paraît pas mal ; j’en changerai peut-être. Chaque chapitre commence à partir du moment où la fille me dit : « C’est fini entre nous. » Tous ces livres paraîtront chez Grasset à qui je suis fidèle.
Propos recueillis par PHILIPPE LACOCHE