J’aime mon Saint-Leu, quand il pleut

                            

De gauche à droite : Loïc (guitare, chant), Flamm (batterie, choeur) et Maciel Bento (basse, choeurs). Le groupe Dust, l'autre soir, en concert au Couleur Café, à Amiens.

De gauche à droite : Loïc (guitare, chant), Flamm (batterie, choeur) et Maciel Bento (basse, choeurs). Le groupe Dust, l’autre soir, en concert au Couleur Café, à Amiens.

    Quel bonheur de retrouver les nuits de Saint-Leu et le rock’n’roll. Ces derniers temps, tu sais lectrice, ma fée charnelle tant convoitée, d’autres tâches m’occupaient (littérature, écriture, etc.). Je délaissai Saint-Leu, mon quartier préféré d’Amiens. Celui où j’ai posé mes valises à l’automne 2003, port d’Amont, fraîchement divorcé, nouvellement amoureux d’une adorable jeune femme qui avait la moitié de mon âge. Je me souviens encore du goût du verre de bourgueil que j’étais allé boire, seul, à une terrasse du quai Bélu. C’était septembre 2003. Il faisait doux. La Somme d’un vert céladon, dans lequel se reflétait un pâle soleil, me faisait de l’œil comme une fille de joie. J’étais bien. L’autre nuit, je me suis rendu dans un café, rue Saint-Leu, où se produisait Trio d’Vie. Musique chaleureuse, délicatement jazzy, discrètement fanfaronne (dans le sens de fanfare, lectrice, cervelle de sansonnet). Puis, j’ai filé, tel un chat de gouttière, au Couleur Café où se produisait le groupe Dust. J’y ai retrouvé des copains : Flamm, à la batterie, le meilleur drummer de Picardie, le plus sûr, le plus fraternel, le plus généreux ; Loïc Van Zon, à la guitare électro-acoustique et au chant, membre des Nightingales, dont j’ai beaucoup parlé dans cette même chronique ; et Maciel Bento à la basse. Maciel, multi instrumentiste certes, mais quel bassiste ! J’adore regarder ses doigts courir, à la fois calmes et rapides, félins, sur le manche de sa Fender Precision. J’étais heureux de retrouver Maciel. Il fut le clavier de notre groupe si sixties, les Scopytones. Nous évoquâmes les années mortes, les concerts d’antan, les parties de rigolades dans des galas de campagnes improbables et reculées. Et nous parlâmes, of course, de Lou-Mary, mon ex-grande Didiche partie vers d’autres horizons. Les souvenirs, toujours le passé. Je suis un homme du passé sinon je ne perdrais pas mon temps à écrire. Si j’étais dans le présent, je ferai des affaires, je m’enrichirai peut-être ; je dirais du bien du libéralisme. Je n’applaudirais pas des deux mains quand la délicieuse Aurélie Filippetti claque la porte d’un gouvernement dit de gauche. Le passé. La nostalgie ; la mélancolie, mes carburants essentiels avec quelques autres, plus personnels. Au Couleur Café, je regardai passer des ombres de la nuit. Je me souvenais. En sortant, à la terrasse du Rétroviseur, une jeune femme au jean déchiré au genou droit de façon assez érotique, lisait Ouvert la Nuit, de Paul Morand. L’idée me vint de l’entreprendre, de lui parler de ce grand styliste au cœur sec. Mais non. Je n’ai plus l’audace d’antan. Je me suis contenté d’allumer une cigarette et de regarder le pavé mouillé de la place du Don, de Saint-Leu. Il s’était mis à pleuvoir. Que je l’aime, mon Saint-Leu, quand il pleut.

                                                             Dimanche 26 octobre 2014